Partie 2 : le sens du passé. VI. Sur les traces d'Ian

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« Tu n'es pas son fils. »

Ces paroles résonnaient dans l'esprit d'Arran. Sybil le poussa par l'épaule. Eryn leur avait confié des courses à faire et son frère faisait tout, sauf l'aider. Sans rien dire il attrapa l'amphore avec un petit sourire pour la jeune fille.

« Elle n'avait qu'une fille dans son ventre. Un deuxième enfant n'est pas quelque chose qui grandit au huitième mois. »

— Eh bien Arran! Tu me sembles bien préoccupé!

Le jeune homme leva son regard vers le commerçant. Ce dernier riait, indiquant de la main ce que son client tenait. Sybil le regardait aussi, concernée. Il baissa le regard vers sa main. L'amphore qu'il pensait tenir n'était qu'un tesson de terre cuite. Il balbutia, sans chercher d'explications à leur donner et prit l'amphore de grain qu'on lui tendait enfin.

— Tu sais... tu peux tout me dire.

— Je sais.

Arran posa son amphore, le temps de sourire et rajuster le voile de sa sœur. Il ne voulait pas l'inquiéter plus qu'elle ne l'était déjà. Ils n'avaient jamais vraiment eu de secrets l'un pour l'autre. Et s'il y en avait eu, ils avaient disparus d'une façon ou d'une autre. Pourtant, celui-ci, il voulait le garder jusqu'à ce que les choses soient plus claires. Peut-être même qu'il réussirait à le garder dans la tombe.

Sybil n'était pas dupe. Elle fit simplement comme si elle ignorait l'état de son frère. Bien que son regard trahissait ses réels sentiments. Ils ne dirent rien jusqu'à leur demeure. Eryn les accueilli avec un sourire, vérifia la qualité du grain et des légumes avant de les laisser les ranger. Elle remarqua bien vite le non-dit de ses enfants adoptifs. La vieille femme ne manquerait pas d'en parler à Gery, à son retour !

Enfin, le geôlier se demanda bien pourquoi elle lui demandait conseil sur ce domaine-ci. Il n'y connaissait rien. Il savait se battre, utiliser une arme, s'occuper d'un cheval, réparer une porte ou un toit, en revanche, rabibocher des enfants... il laissait sa femme s'en occuper. Il semblait d'ailleurs que le traiter d'insensible et de père irresponsable fut suffisant pour trouver une solution au problème.
Gery grogna que c'était bien la peine de venir le voir si au final elle n'avait pas besoin de lui. Eryn ne l'écouta pas, balayant ses paroles d'un geste de la main.

Ce soir-là, Arran demanda à laisser les épées dans leur fourreau. Il voulait parler à son père putatif. Ce dernier l'accepta et ils s'installèrent dans leur coin.

« Tu penses qu'Ian avait une femme?

— Ian? Une femme? Pourquoi? »

La question semblait absurde pour le plus vieux. Non seulement le défunt n'en avait pas eu le temps, il ne cherchait pas non plus à l'avoir, mais en dehors de ça, ses relations sociales, en dehors de son travail, se limitaient au couple. Gery avait été le seul survivant parmi ses amis. Ian n'avait pas voulu s'en faire de nouveau en dehors d'Eryn. Son monde avait finit par n'être composé que de cinq personnes.

« Les dires de cette bonne femme font sens, acquiesça le soldat après l'avoir écouté. Néanmoins, je doute de l'exactitude de la prédiction qu'elle a rapporté. Je n'ai jamais connu ta mère n'ayant qu'un enfant. Ian n'avait pas non plus eu l'air de mentionner une autre femme. Peut-être que ton pouls était caché ou quelque chose comme ça.
— Je n'en saurait pas plus de ta part?
— je ne pense pas que tu ais d'autres sources d'informations.
— Et les anciens collègues d'Ian? »

L'ivrogne se figea. Le passé était passé. Il n'y avait nul besoin de le remettre sur le tapis. On ne souillait pas un mort.

« Oublie-les. Ils ne t'apporteront rien de plus.

— Comment tu peux en être sûr?

— Ils n'avaient qu'une relation de travail.

— Ça ne les empêche pas d'avoir des informations eux aussi.

— Oublie-les. »

Les deux hommes se turent. Le ton du plus âgé était tranchant. C'était un ordre plus qu'un conseil. Gery ne leur en avait jamais donné. C'était en général des demandes ou des sous-entendus, au contraire d'Ian. Arran baissa la tête. Son père putatif leva ensuite les yeux vers la lune avant de l'enjoindre à se coucher. Il aurait des informations autrement.

"Tiens, tu es revenu."

La prisonnière constata sa présence d'un coup d'œil avant de regarder ses compagnes d'infortune.

"Tu es la seule qui puisse me donner des réponses.

- Je ne peux rien te dire sur ta mère.

- Admettons que je ne sois effectivement pas son fils, dans ce cas je cherche des informations sur mon père.

- Sur ton père? Et tu penses qu'une vieille prostituée t'aidera ? Tu n'as pas de parents pour ça?

- Il ne veut rien dire."

La vieille femme lui lança un regard scrutateur avant de regarder au loin de nouveau.

"Qu'est-ce qui te fait dire que j'en saurais quelque chose?

- Si tu n'es pas dehors, tu es en prison, tu as forcément des informations sur mon père, comme tu en as eu sur ma mère.

- Ce n'est pas le même milieu.

- Personne ne s'est posé de question sur lui?

- Pourquoi faire? On est suffisamment source de commérage pour être nous même des commères.

- Tu n'as donc rien..."

Le jeune homme ne pouvait masquer la pointe de déception dans sa voix. Il ne dit rien un moment, cherchant un sujet qu'il pourrait aborder avec la femme. C'est celle-ci qui rompit le silence.

"J'en ai. En revanche, je ne te dirais rien dessus.

- Pourquoi?

- Tu es trop faible, petit."

Elle pouvait lire les protestations de son visiteur sur son visage, mais elle ne le laissa pas les exprimer.

"Tu sais te battre, mais tu ne t'es jamais battu. Tu as vu la mort, mais tu ne t'es pas débattu. Avant de protéger, tu es toi-même protégé. Ce que tu as aujourd'hui, tu n'as pas sué sang et eau pour l'avoir. Ta peau est encore tendre et pourtant, tu cherches ce qui t'a blessé."

Arran n'avait désormais rien à dire. Non pas parce qu'il était d'accord, mais plutôt parce qu'il ne comprenait pas vraiment ce qu'elle voulait dire par là. Il savait aussi que c'était à lui de chercher cette signification et qu'elle ne la lui dirait jamais.

Arran : entre Vengeance et DevoirWhere stories live. Discover now