V. Un soupçon de revanche

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— Gery ?

Pour la deuxième fois Arran rompait le silence du soir.

— J'aimerais savoir pourquoi on a tué mon père.

Le geôlier le regarda légèrement. Lui aussi. Il était impossible que des gens aient voulus se venger. Son métier avait été de ne laisser aucune trace. Quitte à tuer des innocents. S'il s'était en plus préparé pour ce jour, dans ce cas, lui qui n'avait fait que vivre dans l'ombre, avait pris la place de ses cibles. Pour une raison inconnue.

— Je ne pourrais pas beaucoup t'aider, Arran. Par quoi veux-tu commencer?

— Par le début, Gery. Par notre mère, c'est peut-être lié.

— Ta mère, elle n'a pas fait grand-chose de mal. Quelques vols pour se nourrir et c'était tout ce qui l'avait mené en prison.

— Mais peut-être qu'il y avait quelque chose en prison...

— Ça, ça m'étonnerait fortement mon petit. Je l'aurais su sinon.

— Tu me laisserais te rejoindre quand tu travailles?

L'homme le regarda attentivement. Il voulait comprendre, mais il y avait forcément un prix. Il se demandait même s'il avait le droit de laisser le jeune homme le faire. Néanmoins, il avait le droit de savoir. L'époux d'Eryn hocha la tête, les épaules du plus jeunes se détendirent et tous deux retrouvèrent leur silence habituel.

Désormais, à la faveur des quelques nuits de garde du chef de famille, Arran s'incrustait dans les murs décrépis et les barreaux sinistres de la prison. Ses premières nuits furent infructueuses ; l'enfant était pris par les autres geôliers et jeté dehors. Gery dormait, ivre, sur la table de leur salle et ses explications n'étaient jamais assez convaincantes pour qu'on le laisse rester. Au moins, il se consolait en se disant qu'elles étaient suffisantes pour ne pas être enfermé. Enfin, plus il s'y rendait, plus il prenait de nouvelles habitudes, plus il s'imprégnait de la prison et de sa vie, plus il y restait longtemps. Ce n'est qu'après deux ans qu'il parvint jusqu'à la cellule qui avait vu la naissance de sa sœur. Et officiellement, la sienne aussi. Malheureusement, cette nuit-là les prisonnières firent tellement de chaos qu'il lui fut impossible de faire quoi que ce soit.

Cela ne l'empêcha pas d'y retourner. Il interrogea plusieurs femmes et aucune ne lui donna la réponse qu'il souhaitait. Il n'en démordit pas pour autant. Il voulait connaître le passé pour mieux venger. Sa détermination était sans faille.

Enfin, un soir, Gery lui indiqua l'arrivée d'une cliente régulière de la prison. Celle-ci se souviendrait peut-être de quelque chose, bien qu'il n'y croyait pas. Lorsqu'il s'y rendit à la première occasion, il l'a repéra tout de suite. C'était une femme d'un âge assez avancé, assise sur son coin de paillasse. Elle ne faisait rien, ne disait rien, elle attendait.

— Bonsoir madame.

— Madame? S'esclaffa la femme, cela fait beaucoup de respect pour quelqu'un de mon espèce! Que me veux-tu petit?

— Il y a seize ans, il y avait une femme enceinte dans la cellule d'à-côté... J'ignore si vous vous en souvenez.

— Des femmes enceintes, mon petit, dans mon activité et dans cette prison il y en a régulièrement. Il me faut plus de détails. Quelque chose de plus marquant, tu vois?

— Elle a accouché de jumeaux, si cela peut vous aider.

— Des jumeaux? Il y a combien d'années dis-tu?

— Seize ans.

La bonne vieille réfléchit. Il y en avait encore quelques unes mais si elle pouvait préciser encore sa mémoire, sans doute qu'elle la retrouverait.

— C'est un soldat qui a récupéré les enfants à sa mort.

— Oh, je vois.

Cette femme l'avait marqué. Pleine d'espoir malgré un accouchement difficile et un soldat qui l'avait traitée comme une égale. Ou presque. Les enfants n'avaient pas été abandonnés.

— Elle avait un bon esprit. Elle n'est pas restée longtemps, mais suffisamment pour attirer un commandant. Et pas n'importe lequel. Il paraît que c'était un commandant important, mais je n'en sais pas plus.

— Comment est-elle morte?

— Pas d'une belle mort en tout cas ! J'avais déjà été relâchée, mais je peux essayer de trouver pour toi. À condition que tu revienne.

Le jeune homme sourit. Cette bonne femme recueillera des informations plus fidèle que lui. Elle était des leurs. Il salua son père putatif d'un petit tapotement sur la main et s'en alla. Il n'avait plus rien à faire pour ce soir.

Lorsqu'il revint, quelques semaines plus tard, la prostituée l'attendait. Elle n'avait pas grand chose, mais à l'échelle d'Arran c'était déjà beaucoup. Elle espérait que des nouvelles venues, ou d'anciennes camarades à sa sortie, lui fournissent plus d'informations. Avec un peu de chance, à eux deux ils parviendraient à retrouver le groupe de la mère de Sybil. Même si les femmes de leur condition étaient bien vite remplacées, en général les membres d'un petit groupe se souvenaient toujours des leurs. Comme un défi à leur condition d'objet interchangeable.

Arran : entre Vengeance et DevoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant