IV. Continuer de vivre

0 0 0
                                    

Les jours qui suivirent la mort d'Ian furent terribles pour les enfants. Gery écouta sa femme et vida une pièce pour eux. Il déplaça sa réserve d'alcool jusqu'à son lieu de travail. Comme Ian l'avait fait en devenant père, il tria ses affaires. Bientôt, deux lits meublèrent l'ancienne réserve avec deux coffres de vêtements. Tout le reste avait été vendu ou avait disparu.

Eryn tentait de redonner un semblant de vie à ces petits êtres qui avaient vu la mort de près. Paradoxalement, c'est l'épée qui redonna un brin de combativité à Arran. Il s'agissait de reprendre ses habitudes et d'honorer la mémoire du défunt. Sybil avait repris son apprentissage de la couture pendant que sa nouvelle mère tissait à ses côtés.

Puis, enfin, les enfants reprirent leurs jeux. Il fallait trouver d'autres cachettes, d'autres objets, mais petit à petit, la joie revenait.

Le soir venu, Gery combattait sa soif d'alcool en reprenant l'enseignement militaire d'Arran ou en constatant les progrès des deux enfants dans les lettres. L'enseignement d'Eryn était limité dans ce domaine, mais ce qu'elle savait était largement suffisant pour des gens de leur milieu.

Après une bonne année à vivre ensemble et à reformer une famille, Gery se décida à sacrifier une dizaine de bouteilles pour deux livres. Il en fit la surprise aux enfants en rentrant. Lui-même ne connaissait que les bases de l'alphabet et il ne savait pas trop ce qu'il avait pris. Il s'était fié au jugement du vendeur. Ou plutôt, celui-ci n'avait à disposition qu'une dizaine de livres, portant sur l'économie et sur l'histoire et la géopolitique. Des sujets d'adultes. Eryn lui en fit la remarque, bien que touchée de cette attention. Les enfants, eux, se fichèrent bien du sujet et ovationnèrent leur nouveau père adoptif. Ils se mirent très vite à leur lecture et dès qu'ils ne comprenaient pas quelque chose, ils demandaient. Si Eryn ne savait pas, ils allaient tous deux sur la place du marché en arrêtant les passants. Leur lecture n'avançait pas très vite, mais cela ne les dérangeait pas. Parfois, l'un des commerçants demandaient l'aide des enfants pour surveiller leur échoppe ou pour quelques commissions en échange de quelques pièces.

La fratrie ne se séparait jamais. D'une part, parce que leurs parents leur avaient interdit d'être seuls, d'autre part, parce qu'ils n'avaient que l'un et l'autre. Aussi, Arran mit très rapidement son bras au service de sa sœur à partir du moment où son corps se développa. Eryn avait d'ailleurs augmenté sa charge de travail, ne dormant plus que très peu, et Gery avait accepté de limiter sa consommation d'alcool jusqu'à ce que Sybil puisse avoir un voile digne d'elle.

À la demande du garçon, il limita à son tour son sommeil afin de l'aider à se battre. Quand il comprit aussi que le voile de sa sœur n'était plus approprié, il donna ses petites économies, ramassées grâce aux commissions, à sa mère. En attendant, il le déconseillait à Sybil.

Pendant que celle-ci était occupée avec sa mère et qu'il était sensé s'entraîner seul, selon ses habitudes, il décida d'aller au marché pour se mettre à la disposition du plus offrant. Du moins, parmi ceux qui voulaient bien de lui. Il trouva rapidement un petit travail avec le couvreur. L'un de ses employés lui demandait de le rejoindre dans son travail afin qu'il puisse le terminer plus rapidement et commencer un autre chantier sans que deux travailleurs y soient officiellement. Arran n'était peut-être pas payé à la hauteur de son labeur, néanmoins, il l'était suffisamment et ce n'était pas grave s'il avait des horaires irrégulières.

Conscient qu'Eryn n'accepterai pas ses activités, il s'en remit à Gery. Le geôlier désapprouva fortement le secret mais cela ne l'empêcha pas non plus de lui montrer sa fierté. Son fils nourricier devenait un homme. L'argent qu'il mit alors dans sa caisse chaque semaine passait pour un sacrifice de bouteille.

Avec tous les efforts combinés, sans que Sybil n'en soit vraiment au courant, ils purent bientôt acheter un voile de couleur ocre, sans imperfection, sans transparence. La jeune fille le reçut comme la chose la plus précieuse et délaissa son vieux voile lâche.

C'est aussi à partir de ce moment qu'Arran remit son voile. Il utilisa l'un des vieux de son mentor et alterna sa manière de le porter. Au début, il le portait à la manière du désert, ce qui détonait avec la couleur du tissus, celles des ses vêtements et ceux de sa sœur. Elles n'étaient pas assez vives. Non pas parce qu'il le voulait ainsi, mais parce que le fermoir était cassé et qu'il trouvait que c'était plus pratique pour travailler. Quand il installa un autre système d'accroche, il le mît à la mode de Kap. Enfin, plutôt celle d'Ecek puisque la capitale ne se voilait que peu.

Ils s'étaient relevés après la mort brutale d'Ian. Leur famille s'était soudé comme aucune autre ne l'était. Ils grandissaient et ils vieillissaient. Ils apprenaient tout comme ils enseignaient. Ils se protégeaient et se défendaient. C'était bien plus qu'une famille à vrai dire. Gery en était fier et rester sobre le soir n'était plus intolérable. Il était soutenu.

— Gery, pourquoi Père est mort?

Le vieux soldat manqua de s'entailler la main et releva la tête vers Arran. Ils avaient finit leur session nocturne et nettoyaient leurs armes. Habituellement, c'était un moment calme où ils se préparaient déjà à dormir.

— Je l'ignore, avoua l'adulte. La seule chose qu'il m'ait dite a été de vous protéger à tout prix.

— Tu sais qui est notre mère ?

— Pour cette question, je connais la réponse. C'était... une courtisane. Enfin, une du peuple. Je ne sais plus exactement pourquoi, sans doute pour vol, elle s'est retrouvée en prison.

— Cela ne correspond pas à Ian.

— Ah mais Ian n'est pas votre père biologique, Arran. Néanmoins il vous a fait naître et vous a élevé comme si vous étiez ses propres enfants. Peut-être un peu plus au vu de l'espoir qu'il avait en toi.

— On aurait dit qu'il savait qu'un tel jour allait arriver.

— Eh bien... ton père n'est pas tout blanc, mais dès le moment où il a pris votre responsabilité il a changé. Un peu. Il est devenu énormément prudent, il analysait le moindre mouvement. Il a même tué un chat sauvage pensant que c'était un voleur. Avant que vous n'arriviez, il l'aurait gardé en vie pour l'interroger avant de décider de ce qu'il en aurait. Avoir tué le chat d'un coup démontre ce changement.

— Pourquoi nous a-t-il gardé?

— Ça je ne sais pas non plus, gamin.

— Il y a très certainement quelque chose sous les apparences.

Les deux hommes sursautèrent en entendant Eryn. La femme avait besoin de refaire une réserve de fil pour son métier à tisser. Elle s'était donc dirigée vers sa grande réserve où elle les stockait, avant d'entendre la discussion.

— Vous semblez être bien plus que des enfants de prostituée, ajouta-t-elle.

— Ça n'a plus d'importance maintenant, vous êtes nos parents.

Arran : entre Vengeance et DevoirWhere stories live. Discover now