VII - Le Rêve

8 2 0
                                    

   Elle serra si fort son pendentif contre sa poitrine qu'elle sentit le métal froid s'incruster dans le creux de sa main. À chaque nouvelle seconde écoulée, la peur paralysait davantage son être qui se métamorphosait en une pierre lourde et rigide. Par-dessous, son cœur tambourinait son corps inerte et l'air peinait à trouver le chemin de ses poumons.

  Elle entrevit son pendentif, puis sa main – une toute petite main – puis à nouveau son pendentif. Noir. Ses pensées étaient erratiques, les images défilaient à une vitesse vertigineuse. Elle essaya de les ralentir, de les saisir. En vain. Noir – Pendentif – Main. Ses yeux roulaient sous leurs paupières. Les scènes anarchiques se succédaient contre sa volonté. Noir – Pendentif, oui, son pendentif. Elle s'y accrocha de toutes ses forces, essayant de le visualiser, de le sentir au creux de sa main. L'image se fixa enfin.

   Petit à petit la lumière chassa le chaos. Leta découvrit autour d'elle des enfants. Parmi eux, un garçon. Il leur adressait des mots d'encouragement plein de bienveillance. Quels mots ? Que disait-il exactement ? Tout à coup son regard fut attiré par un mouvement lointain. Une femme enveloppée d'un halo incandescent sautait avec grâce d'un point surélevé qui fut aussitôt englouti par les ténèbres. Elle courait vers eux les cheveux flottant dans le vent. Son pas rapide était si léger qu'elle semblait ne jamais poser un pied à terre. En une fraction de seconde l'ange les avait rejoints. D'une voix douce et rassurante elle leur dit quelques mots. Quels mots ? Les enfants couraient désormais vers la forêt. Leta, ne bougeait pas : incapable de détourner les yeux de son ange de lumière. Elle l'observa avec attention pour se souvenir de ses traits. Il fallait qu'elle se souvienne. Soudain, son cœur s'affola et son sang se mit à tournoyer. Il y avait des monstres, là, sortant de l'ombre. Noir – Monstre – Lumière – Noir – Monstre, non pas encore. Les monstres que faisaient-ils ? Noir – Lumière – Pieds ? Elle courait désormais. Elle voulait rejoindre les autres enfants. La forêt était sombre, elle ne voyait rien. Alors qu'elle pensait les avoir perdus, le garçon apparut devant elle, lui tendit la main et l'entraîna dans les profondeurs des bois. Elle respirait enfin. La grande main du garçon serrait si fort la sienne qu'elle ne sentait plus le bout de ses doigts. Son autre main tenait toujours son pendentif. La chaleur de sa paume contre la sienne lui était familière et lui procura immédiatement un sentiment de réconfort qui contrastait avec le métal froid, légèrement réchauffé, de son pendentif. Elle se sentait en sécurité. Puis, elle entendit une voix féminine. Mais qui était-ce ?

   Une femme – celle qu'elle venait d'entendre ? – et un groupe d'hommes apparurent. Ils couraient vers eux. Que criaient-ils ? Le garçon prit son visage entre ses mains et lui dit quelques mots, mais elle voyait ses lèvres bouger sans entendre la moindre parole. Et ce garçon qui était-ce ? Soudain, une lumière blanche l'éblouit. Lorsqu'elle reprit conscience, ils couraient de nouveau. Elle avait le genou écorché et du sang perlait sur sa chaussure. Pourtant, elle ne ressentait pas la douleur. Elle voulait que tout s'arrête, mais les événements se déroulaient sans qu'elle en ait le contrôle. Elle tenait toujours dans sa main droite son collier et dans la gauche la main du garçon. Elle le regarda, un brouillard s'élevait sur son visage. Le garçon lui lâcha la main et fut emporté au loin. Noir. Elle était tombée. Lorsqu'elle leva la tête, elle vit disparaître le groupe dans l'épaisseur de la nuit. Sans reprendre son souffle, elle se releva et essaya de les rattraper. « Gadabrielle ! ». Un éclair blanc. Puis un bruit sourd, comme une masse lourde et métallique s'effondrant sur le sol. Elle souhaitait rejoindre le garçon et les autres enfants, mais elle n'en fit rien. Terrifiée par la profondeur de la forêt, elle quitta les bois sans se retourner. Noir.

   Elle ouvrit les yeux. Il y avait ce même garçon assit au bord de son lit. Il lisait. Elle ne voyait toujours pas son visage pourtant elle était certaine de le reconnaître. Elle essaya de le regarder, son image se dérobait. Noir. Leta ouvrit à nouveau les yeux. Il était encore là, assis, avec un livre. Elle se releva pour mieux le voir. Noir. Elle observa le livre, que lisait-il ? Elle ne parvenait pas à comprendre le titre. Ses yeux furent irrémédiablement attirés par le garçon. Noir. La scène se répéta encore et encore... Elle ne pouvait la fixer, l'image s'enfuyait sempiternellement. Agacée et fatiguée, elle renonça. Soudain la porte au fond de la pièce s'ouvrit. Elle entrevit un visage maternel... Noir.


   Leta se réveilla à nouveau. Elle se redressa péniblement sur son lit et chercha des yeux le garçon, s'attendant à le voir assit au pied de son lit, mais elle perçut une ombre derrière la porte entrouverte. Son cœur battait si fort et si vite dans sa poitrine. La porte grinça et laissa passer une silhouette familière. La jeune fille tentait de s'accommoder au noir de la chambre avec impatience. Elle s'avança sur le bord du lit et remarqua par ailleurs l'absence du garçon. Elle tendit la main vers l'avant comme pour saisir l'image avant qu'elle ne s'efface encore. Elle avait froid, elle se sentait mal, jusqu'à présent Leta n'avait souffert d'aucun de ces maux. La jeune fille fixait toujours avec insistance l'ombre qui s'avançait vers elle. Elle la reconnut enfin : Pierre. Son frère lui parut si étranger dans ce monde... il n'était pas à sa place, il n'appartenait pas à cette histoire, mais alors pourquoi était-il là ? Les cheveux hirsutes et le visage cerné, il se frottait les yeux. Soudain toute l'excitation laissa place à la surprise et la déception. Elle reconnut d'abord les meubles, puis l'odeur de sa chambre à Archelène. Pierre était parfaitement à sa place. Mais alors qui attendait-elle ? Qui d'autre que son frère aurait dû passer cette porte ? Leta ne parvenait plus à se souvenir, comme un mirage survivant quelques instants à son réveil, désormais il lui était obscur et inintelligible.

— Est-ce-que ça va ? marmonna son frère.

   Elle fut incapable de lui répondre, encore plongée dans l'illusion. Elle esquissa un signe de tête et Pierre fit demi-tour. Elle avait rejoint dans son sommeil un âge à jamais révolu, ravivant des terreurs enfantines et des souvenirs lointains. Or, ils se dérobaient à nouveau, restant tapis dans l'ombre de la nuit.

   Letabalaya la pièce du regard : ses deux sœurs dormaient profondément et salampe de chevet gisait sur le sol. Les mains légèrement tremblantes, ellerepoussa ses cheveux derrière ses épaules. Sa chemise de nuit était trempée desueur. D'un pas lourd et maladroit, elle rejoignit la salle de bain afin de serafraîchir. Elle alluma hâtivement la lumière et regarda son reflet dans lemiroir. Son visage était blanc et crispé, ses cheveux collaient à sa nuque.D'un geste mal assuré, elle les attacha en un chignon désordonné. Encoreplongée dans cet étrange rêve, Leta avait du mal à faire la part des chosesentre réalité et imaginaire. Comme une chanson dont on ne retient qu'une parole,elle répétait sans cesse le nom de « Gadabrielle », mais lorsqu'elletenta de se remémorer son visage, elle ne vit que du noir. Ce nom lui étaitfamilier. Elle se souvint alors sa conversation avec Marie-Rose sur le perronde la maison. Sa mère adoptive avait cherché à retrouver un nom entendu, Leta étaitpresque certaine qu'il s'agissait de celui-ci. Elle avait désormais une piste.Leta baissa la tête, s'appuyant sur l'évier. Sa main droite serrait sonpendentif si fort qu'il lui avait laissé une empreinte.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Sep 06, 2023 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

Les Mécanismes du cœur - L'ÉtrangèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant