L'histoire rime

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Songhai ne venait pas d'ici. Songhai venait de très loin, vers le soleil couchant. Songhai voyageait au milieu d'une large caravane composée de ses meilleurs guerriers, venus rencontrer les souverains locaux, leur offrant tant de richesses que cela semblait presque indécent. Songhai semblait avoir plus d'or qu'elle ne savait en faire, plus de pouvoir que nul autre en cette terre, et la fidélité de ses guerriers était sans faille. 

Et Jinn faisait en faisait partie. Jinn apprit à se battre. Jinn apprit à se défendre. Jinn apprit ce qu'était une famille, une véritable famille. Et un jour, sur la route du retour aux terres sur lesquelles Songhai régnait, Jinn apprit également d'où elle venait. 

-Songhai... demanda Jelu, l'un de ses fidèles disciples et puissants guerriers. Durant nos pérégrinations, nous avons croisés tant de peuples différents, tant de royaumes rivaux, tant de villages perdus, tant de cultures opposées. Mais un détail m'échappe, un détail que je ne comprends pas. Aucun ne parvient à se mettre d'accord sur qui sont les Dieux qui règnent en ce monde. Comment est-ce possible? 

Songhai ricana de sa voix tonitruante qui faisait toujours frissonner Jinn. Elle se saisit de son outre d'eau, et en descendit une longue gorgée, avant de répondre, semblant choisir ses mots avec attention.

-Si personne ne parvient à se mettre d'accord là dessus, c'est peut être parce que personne ne le sait vraiment. Et si personne ne le sait vraiment, c'est que c'est si ancien que tout le monde l'a oublié.

-Mais, ô Songhai... tenta Jinn. Tu es plus ancienne que le plus ancien des royaumes! Toi, tu dois bien t'en souvenir.

Le sourire amusé qui naquit sur les lèvres de l'imposante guerrière à la peau couleur ébène était presque attendri par cette question. 

-Tu n'oserai tout de même pas sous entendre que je suis vieille, petite!

Toute la petite troupe attroupée autour du feu de camp éclata de rire. Songhai reprit.

-Je suis ancienne, il est vrai. Mais, peu importe à quel point je suis ancienne, mon âge ne représente sans doute qu'une poussière dans l'âge qu'a ce monde. Je n'ai pas vu sa création. J'ignore comment il est apparu, et je ne connais le nom de ses créateurs. Et je pense également que si ces créateurs avaient tant désiré être loués, chantés et priés, alors ils n'auraient jamais été oubliés, ils auraient toujours été connus. 

Un silence s'abattit sur la petite troupe, pendue aux lèvres de leur charismatique cheffe. Ses yeux mauve, que beaucoup de ses guerriers partageaient, luisaient dans l'obscurité toute relative des environs du brasier. Elle aurait pu en rester là. Mais elle décida de continuer.

-J'ignore qui sont les créateurs, et, à vrai dire... peu m'importe. Déclara-t-elle. Cependant... je sais qui sont les défenseurs de ce monde. Ses protecteurs. Je les ai vus, de mes yeux, vus. Il y a longtemps, bien longtemps, si longtemps que les hommes ne ressemblaient pas encore vraiment aux hommes de maintenant. Si longtemps qu'ils ne savaient pas encore comment garder les bêtes à leur côté, ensemencer leurs champs, ou travailler le métal... Si longtemps qu'un hiver éternel couvrait encore une grande partie du monde, et que des bêtes abominables hantaient encore plaines et montagnes. C'était il y a si longtemps que cela que, soudain, ils arrivèrent. L'Etranger. Et ses démons.

Un silence s'imposa sur le groupe.

-Ils n'étaient ni humains, ni animaux. Ni terrestres, ni marins. Et, surtout, ils n'étaient pas de ce monde. Ils surgissaient en hordes de trous béants apparus dans le sol, le ciel, la mer et les montagnes. Leurs formes indistinctes inspiraient la peur la plus profonde à tous ceux qui les croisaient, et cette peur étaient ce dont ils se nourrissaient. Et les hommes... étaient bien peu adaptés face à une telle menace. Ils périrent en grappes, comme le raisin qui pourrit sur sa vigne passé l'été, lorsque la vendange ne vient pas. C'est alors qu'elle intervint. La Dame Blanche. L'Agneau Sanglant. L'Invisible. La Mère des Démons. La Douce Séductrice. Elle, tenait à ce monde, et ne tenait pas à ce qu'il périsse, englouti par l'appétit sans commune mesure de l'Etranger. Mais elle tenait tant à notre monde, qu'elle ne pouvait s'en prendre directement à l'Etranger. Une lutte d'une telle ampleur aurait ravagé les continents, soulevé les océans, creusé des fosses jusqu'aux tréfonds de la terre et réduit en miette toute existence en ce monde. L'Etranger était terrifiant. Mais la Dame Blanche, elle, était maligne. Alors, elle confia un don à l'humanité. Celui d'être les garants de la sécurité de leur propre monde. Et, forts des dons de la Dame Blanche, et de son sang coulant dans leurs veines, les hommes chassèrent l'Etranger hors de ce monde, avec tous ses démons, et ils ne furent plus jamais revus. Je pris moi même part à cette immense bataille, il y a bien longtemps de cela, même si mes souvenirs n'en sont plus très clairs. Mais, au travers des millénaires et des millénaires, je continue de perpétuer le don de la Dame Blanche. Celui d'assurer qui l'humanité est assez forte, assez puissante, pour que, plus jamais, une autre créature telle que l'Etranger ne puisse venir fouler notre sol. Et vous, mes amis, êtes également porteurs de ce don. En beaucoup d'entre vous aussi, coule le sang de l'Agneau Sanglant. Sa puissance s'exprime à travers vous. Vous portez ses cheveux blanc comme l'écume et ses yeux tels l'améthyste. Vous avez le pouvoir de séduire les mortels tout comme elle. Vous, et moi, portons le fardeau de la sécurité de ce monde. Enfin, l'un des fardeaux. L'un des Cinq Rameaux qu'elle confia à notre espèce, à notre peuple, pour le protéger des monstres qui rôdent et qui chercheraient à dévorer notre existence même. Soyez en fier, et fières. 

1000 mètres sous la surfaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant