Alex - Tu vas me manquer

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Le même soir

Autour de moi, l'appartement est en chantier, encombré de cartons en tout genre. C'est dingue ce que j'ai pu entasser en quelques années.

Heureusement, Nick a rangé les objets qui traînaient avant de partir. C'est officiel, ce garçon est un ange. Il sait ce dont j'ai besoin mieux que moi-même.

La sonnerie de mon portable interrompt ma rêverie amère. Curieuse machine qui permet d'être joignable en permanence... Et dont, il y a encore un an, j'ignorais l'existence.

Nick ? Le sourire qui me vient alors que j'attrape l'appareil ne laisse pas de doute sur mes sentiments. Je veux qu'il m'appelle, reprendre avec lui nos longues conversations à l'abri de ma couette, et qui nous emmènent jusqu'au matin.

Mais je me fige, instantanément, en voyant le nom sur l'écran.

—Alexandre ?

—Bonjour, Papa.

Soulagé, je baisse un peu la garde. J'avais cru que ma mère serait au bout du fil. Mais mes relations avec mon père étant meilleures, je peux me permettre de me détendre.

—On pensait venir te chercher à dix heures, samedi, fils. Est-ce que cela te convient ? lance-t-il amicalement. On est très fiers de toi et de ton nouveau poste, tu sais.

—Maman aussi ? j'ironise. Déjà qu'elle a manqué s'étouffer lorsque je suis venu à Paris, et là je pars encore plus loin de Draguignan. Elle doit se ronger les sangs....

Son soupir transperce le téléphone.

—Elle t'aime, Alexandre, n'en doute jamais. Tu es la prunelle de ses yeux, mais j'avoue qu'elle le manifeste parfois mal.

—C'est le moins qu'on puisse dire, grimace-je.

A 15 ans, je me suis rebellé en exigeant de pratiquer la boxe et la course. Ma mère avait si peur que je me blesse qu'elle se fermait à l'évocation du moindre sport. A 20 ans, j'ai tapé du poing sur la table pour partir en voyage aux USA, puis pour venir à Paris. Aujourd'hui, malgré que j'aie déjà pris mon indépendance, partir à Strasbourg est à peine plus facile.

—Elle se sent coupable, assure mon père. Ce sont ses gènes qui t'ont transmis l'hémophilie.

La colère s'empare de moi, peu à peu. Mon père a été témoin de mes crises d'angoisse, de ma rage. Il a vu combien j'avais du mal à m'épanouir, combien ce choix de l'autonomie me pesait alors qu'il aurait dû être source de joie. Et pourtant, il n'a rien fait. Il est resté un témoin passif de la maltraitance que m'imposait ma mère.

—Arrête, je le coupe. Tu aurais pu faire quelque chose, mais tu t'en es lavé les mains. Je suis parti parce que je n'avais pas le choix.

Il sera toujours de son côté, à elle. Je passerai toujours après.

—À samedi, je répète d'une voix atone.

Le lendemain soir

—Tu vas me manquer...je répète à Nick le lendemain soir, lorsqu'il revient me dire « au revoir ». J'ai dû dire cette phrase quinze fois en deux jours. Et l'ai pensé encore plus souvent.

—Toi aussi, soupire Nick.

Nos regards se croisent et une onde de tristesse se répand en moi. J'aimerais tellement qu'on puisse être ensemble, sans arrière-pensée. Que je me sente suffisamment construit pour ça, certain d'aller vers le positif au lieu de craindre sans cesse de lui faire du mal.

—À quoi tu penses ? il souffle. Tu as l'air bizarre.

J'esquisse un curieux sourire, sans répondre, et plonge dans ses bras.

NICK - Le même soir.

Alangui sur le lit miniature d'Alex, je tente de dégager mon bras sans réveiller mon ami qui dort.

Je me relève sur un coude, j'observe avec attendrissement sa moue endormie.

—Tu ne dors pas ?

C'était une belle étreinte, ce soir. Nos sens étaient comme exacerbés par la séparation proche.

—Toi non plus ?

Je secoue doucement la tête, un sourire aux lèvres, tout en caressant ses boucles brunes.

Soudainement, un éclair angoissé traverse son regard.

— Ça t'a plu ? J'étais ...bien ?

—Pardon ? je demande, les sourcils froncés

Incertain d'avoir bien compris, j'oscille entre le rire et l'attendrissement.

Alex s'empourpre, se mord les lèvres. Alors, je pose une main sur son épaule pour le retenir et l'attire à moi.

—Tu étais parfait. Tout était parfait.

Et pendant que je sens son souffle s'apaiser dans mes bras, j'ajoute :

—Je ne te demande pas d'être parfait, de toute façon. Alex ! Quel intérêt ? Je t'aime, je ne demande que... ta présence et peut-être, ton affection.

Je suis presque offusqué qu'il ait posé pareille question. Parce qu'il se place lui-même dans une position d'objet que je ne lui aurai jamais spontanément assignée.

Je m'arrache à l'étreinte d'Alex, croise son regard vert, un peu craintif. Ce qu'il soulève est trop important pour qu'on l'élude. Ma voix devient vibrante. Je voudrais lui insuffler de la force et qu'il prenne conscience, enfin, de l'ampleur des sentiments que j'éprouve pour lui.

—Il y aura des soirs où on ne sera pas au top, toi ou moi. Où on sera plus fatigués qu'excités et où on se connaîtra par cœur.

Enfin, j 'espère, j'ajoute mentalement. J'espère qu'on en arrivera là un jour.

—Mais ça n'aura pas d'importance, je termine avec la même ferveur. Pour moi en tout cas. Je t'aime dans ta globalité, pas seulement le plaisir que tu me donnes.

Alex ne répond pas, mais son regard s'embue. Il cache son visage dans mon cou.

—Merci, finit-il par murmurer.

Un coup de pied dans la fourmilièreWhere stories live. Discover now