Le Casse

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Le ciel s'était plombé après que le soleil eût disparu derrière le palais ; un vent frais courait sur les toits et l'orage ronflait au loin. Les circonstances étaient favorables : une lune voilée aveugle les vigies, et le tonnerre, bien qu'étouffé, pardonne les imprudences. Betheros craignait que le temps ne se gâtat. Plus bas, un ivrogne errait, hélait des minettes maniérées, ponçait la patience des portiers.

Le pied sûr, le couple progressait nez au vent, couché sur la toile verticale de marbre en relief. Une minute plus tôt, ils jaugeaient leur élan depuis la terrasse. Tout était un jeu de vitesse, permis par l'expérience. Le vécu montrait, là une poignée, ici un appui, sur cette voûte une prise, sur l'acrotère un balancier. Les voir sauter ainsi avait de quoi donner le vertige ; ils grimpaient avec une telle aisance, une telle grâce, que l'œil néophyte aurait pu gueuler à la sorcellerie. L'orage, cependant, les rattrapa dans leur course ; son roulement sourd se mua en claquements secs.

Betheros posa la pointe du pied sur la rambarde, coula sur le balcon en silence, et se tassa dans la pénombre. Il claqua sa langue, et Solane se posa à son tour. Un jeu d'enfant. Devant eux, une double porte vitrée aux carreaux minces cloisonnait une pièce sombre. Solane se pencha derrière la vitre. Une vaste étude, haute sous plafond, le sol tapi de molletons, quelques pupitres en bazar dans un coin ; et un gros bougeoir qui brûlait près de l'unique porte. Vide, et personne n'irait s'y aventurer à cette heure-ci.

Solane glissa un doigt dans une doublure de sa manche. Elle en tira une épingle, et, se penchant sur la serrure, comprit qu'on y avait laissé une clé de l'autre côté. La faire tomber eût été trop bruyant. Elle rengaina un juron, et réfléchit. Comment contourner ce problème ?

Betheros posa un genou à son côté, et sortit d'une poche deux petites ventouses en cire. On avait l'habitude de ventouses en verre pour soigner les morsures de tiques ou infuser des cataplasmes ; or, les ventouses malléables pour accrocher au verre — et à n'importe quelle surface assez lisse, étaient novatrices. Il les posa sur un carreau, à deux pouces l'une de l'autre, et décrocha la plume ambrée de sa couronne. Puis il attendit.

Le tonnerre bouillonnait au-dessus d'eux, mais au loin il crépitait, et tombaient les éclairs. Solane porta son regard à l'horizon. Un trait blanc zébra le ciel, embrasant la façade du palais un instant. Elle retint son souffle. Trois secondes plus tard, le claquement atteignit leurs oreilles.

— Trois secondes ... murmura Betheros.

Il serra le bout de sa plume entre ses doigts.

Le vent portait avec lui cette odeur de pierre mouillée, d'ombres fuyardes sous les trombes, et cette lourdeur inquiétante qui vous criait de vous terrer sous un toit jusqu'au lendemain. Une autre veine trancha les nuages d'encre, au loin.

Trois secondes s'écoulèrent.

Tac ! D'un geste vif et millimétré, Betheros posa la pointe en diamant de sa plume sur le verre et esquissa un cercle parfait, étouffant le crissement dans la détonation de l'éclair. Puis il saisit les ventouses et retira le disque découpé, pour le poser sur un coin du balcon en douceur.

Un incontenable sourire de fierté illumina le doux visage de Solane. Passant son bras dans l'encolure, elle tourna la clé et pressa la poignée. Comme les domestiques ne lésinaient pas sur l'huile pour gonds, la porte s'ouvrit en silence et sans accroc. La voie était libre.

Ils laissèrent ouvert derrière eux et se pressèrent vers la porte au bougeoir, l'épais tapis feutrant leurs pas. Betheros tendit l'oreille contre le bois. Après quelques secondes, il leva deux doigts en l'air et se pencha sur la serrure. Deux bruits de bottes, réguliers et distincts, résonnaient derrière la porte. Des silhouettes, en gambison grise et sabre à la taille, allaient ; l'une était sur le point de disparaître à l'angle du long couloir, et l'autre marchait dans la même direction. Betheros posa une main sur la poignée, éprouva un peu son bruit et attendit, sans décoller son œil de l'orifice.

L'aubade de SolaneUnde poveștirile trăiesc. Descoperă acum