2 | STARR

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« Mais des fois, il faut plus de courage pour vivre que pour se tuer. »
- Albert Camus -


Quelques jours plus tôt.

06:50, 2 novembre 2016.
Edimbourg, Ecosse.

Allongée sur le dos en position d'étoile, l'alarme du réveil ricoche entre les murs depuis cinq minutes mais je peine à ouvrir les paupières. Mes mains tremblent, mon cerveau peine à réfléchir correctement et mes forces sont amoindries. Ça a tous les symptômes d'une crise d'hypoglycémie et mon manque de nutrition en est sûrement la cause.

Mon corps est lourd, mon cœur l'est avec, comme chaque matin depuis trois ans.

Je m'efforce à sortir du lit pour affronter une journée de plus que je ne souhaite pas vivre, patientant seulement que Dieu, si il existe, décrète à l'Ange de la mort de trancher le fil de mes jours et extirper l'âme déjà défunte abritant mon enveloppe corporelle.

Debout au centre de la pièce, les bras ballants le long de mon corps, je zieute ma chambre autant bordélique que ma vie. Ce désordre me dépite toujours autant et pourtant je n'arrive jamais à la garder propre. Peut-être qu'elle est en cohésion avec mon âme et que seul le jour où celle-ci sera en ordre, ma chambre le sera aussi.

Par mégarde, j'écrase l'essai « le Mythe de Sisyphe » d'Albert Camus, traînant au sol. Mon regard sans fond vogue sur sa première de couverture un instant, avant de reprendre l'esprit.

Parmi la pile de vêtements entreposée sur ma chaise de bureau, je m'empare de mon uniforme. A cela, j'ajoute un sweat à zip noir, une paire de mitaines en mailles et mes éternelles bottines à fourrures écrues accompagnées de jambières grises foncés.

Dans la cuisine, j'avale un sachet de sucre pour augmenter ma glycémie à un taux adéquat. J'hésite à emporter une pomme pour le trajet mais me résigne finalement, l'estomac déjà noué par le stress.

A cette période de l'année, les premiers rayons solaires n'ont pas encore percé l'horizon. Le brouillard âcre est particulièrement présent ce matin, limitant la visibilité et le froid polaire s'immisce à travers le tissu de mes collants opaques.

Le chauffeur de la famille m'attend au pas de la porte d'entrée. Miguel est un homme d'une quarantaine d'années, prévenant, chaleureux et professionnel. Il me passe le bonjour, en m'ouvrant la porte arrière du véhicule et je hoche la tête en guise de remerciement avant de m'engouffrer à l'intérieur de l'habitacle.

Je passe les portes de l'école, ou plutôt celles de mon enfer quotidien. Ici, je ne me sens plus humaine, réduite à un cœur meurtri par l'anxiété à l'instar de son pantin.

Dans les couloirs, une musique sans paroles, à l'acoustique mélancolique, résonne dans les hauts parleurs de mon casque, étouffant ainsi ma paranoïa. Une paranoïa qui me laisse croire que les regards sont braqués sur moi en permanence, que chacun de mes faits et gestes est épié.

De mon point de vue, tout me paraît toujours lointain, telle une spectatrice du monde qui m'entoure sans jamais en faire partie, exclue de mon propre rôle principal. Si j'étais un genre théâtral, je serais assurément une pièce comique tant ma vie rime à une sombre farce.

Deux garçons me bousculent en me dépassant. L'un d'eux me décoche une œillade avant de se retourner l'air de rien. Cet acte si insignifiant piétine pourtant un peu plus mon estime de moi, déjà plus basse que terre, fructifiant cette impression d'être invisible aux yeux du monde entier. Et c'est la goutte de trop.

La bulle superflue éclate.

Ma gorge se resserre. J'essaye constamment d'étouffer mes ruminations mais, parfois, sans raison apparente les pensées néfastes jaillissent de nul part. De la bile, que je tente de réprimer, remonte le long de mon oesophage. J'essaye, j'essaye vraiment mais je ne contrôle rien. Tout ici me donne envie de vomir.

EMPTYWhere stories live. Discover now