Chapitre 1- Irina

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Milwaukee

— Où est-elle ? Mais où est-elle, bon sang !

La voix de mon père résonne dans toute la partie réservée au personnel des 7 Péchés Capitaux. Comme à mon habitude, je suis en retard. Même en ce moment où mes parents m’attendent.
Avec un tressaillement, je m'arrête dans le couloir. Mes cheveux sont en désordre, un mal de tête me terrasse depuis mon réveil et mon estomac joue aux montagnes russes. Je n’aurais pas dû être si généreuse avec le champagne et la vodka. Ce mélange est dangereux pour mon foie. Je dépose mon sac à main sur le premier meuble que je croise. Personne n’y touchera, les breloques argentées sont ma marque de fabrique. Je suis en train de redresser ma tenue, tirant sur ma jupe dans le vain espoir qu’elle s’allonge quand un rire me surprend.

— Ton père va faire une attaque en te voyant. Tu ne pouvais pas te changer avant de venir ?

Cette remarque me fait sortir de ma propre peau tellement elle me surprend. La main posée sur le haut de ma poitrine, je tente désespérément de calmer les battements de mon cœur. Ce mec est trop silencieux pour ma santé.

— Oh allez, oncle Youri ! Je dois prendre la route, je ne vais pas perdre plus de temps.

— Si tu mets la clim trop fort, tu vas finir enrhumée. Tu as encore passé la nuit dehors, constate-t-il de façon inutile, si je connais le mec avec qui tu as…

Je le coupe en posant la main sur sa bouche. Même à son âge, il est terriblement effrayant et le pire c’est qu’il met toujours à exécution ses menaces. Le pauvre gars qui m’a ramenée chez lui ne mérite pas ce qu’il lui réserverait.

— Je ne vais pas te donner son adresse, ni son nom et tu ne vas pas lui foutre les jetons. Il ne connaît même pas ma véritable identité ni ma filiation.

— Irina ! Je t’entends, viens ici tout de suite !

— Mon père me réclame, j’y vais.

Je me retourne vers le bureau du chef de clan et sautille sur mes talons aiguilles en oubliant ma fatigue et mon mal de tête. Je vais enfin commencer un nouveau chapitre de ma vie.

— De toute manière, tes gardes du corps me feront un rapport, marmonne Youri en me suivant.

J’entre dans l’antre d’Anton Yourenev, le maître des lieux et de la mafia de Milwaukee. Le bureau en bois rouge, son fauteuil en cuir, la vitre sans tain qui donne sur la salle en contrebas, tout m’est si familier, si confortable. Pour la plupart de ceux qui entrent ici, c’est l’endroit qui verra la douleur, les menaces ou la mort en dernier recours. Pour moi, c’est ici que j’ai fait mes premiers pas, que j’ai passé des après-midi sur les genoux de mon père ou que j’ai joué sur le tapis pendant les réunions du clan.
La voix un peu rauque de mon père avec son accent russe a bercé les meilleurs moments de mon enfance.

— Tu me dois vingt dollars, lance ma mère en observant ma tenue.

Anton secoue la tête, blasé et lui tend un billet vert.

— Je les récupérerai vite, n’en doute pas.
L'échange de regards entre eux est lourd de sens. Ils restent de vrais amoureux transis malgré les années. Je frissonne et mime une grimace de dégoût me détournant vers Youri pour partager mon malaise filiale.

— Toujours à vouloir me faire payer, insinue ma mère.

Selenne est assise sur le bord du bureau, les jambes croisées. Elle attache ses cheveux en les tordant en un chignon et se lève pour venir m’embrasser. Je passe les bras autour de ses épaules et la câline. Un sourire affleure sur mes lèvres quand je retiens ma taquinerie habituelle sur le fait que je suis plus grande qu'elle. Ma mère est petite sans être minuscule non plus et je gagne des centimètres avec mes talons hauts. Son charisme et son caractère font oublier à ses interlocuteurs qu’elle est menue et l’aura de protection de mon père écrase également les possibles emmerdeurs.

— Tu aurais pu ne pas fêter ton départ cette nuit pour être moins à la bourre.

— Bah, au moins je t’ai permis de battre papa sur un pari.

— Ce n’était pas difficile de prédire que tu aurais encore ta robe de soirée, je te connais trop bien, me répond-elle avec un clin d'œil.

— J’aime la vie nocturne et les fêtes, je voulais en profiter jusqu’au bout.

— J’ose espérer que tu seras plus sérieuse et plus attentive à l’université ! Que tu ne passeras pas ton temps dans les soirées des fraternités, intervient mon père en répétant ses inquiétudes face à mon départ loin de son giron.

Je me tourne vers lui et l’enlace. Il est toujours en forme, musclé, solide. Son étreinte me détend. Je n’ai pas d’insécurités que je cacherais derrière un sourire éclatant et des plaisanteries grâce à cet homme protecteur et cette femme affecteuse. Le stress de la séparation est naturel. Je m’envole de mes propres ailes.

— Je te promets d’être sage et studieuse.

Je croise les doigts derrière son dos, pour ce demi mensonge. Car si je compte bien étudier et revenir diplômée, je ne vais pas non plus rester comme une nonne pendant toute la durée de mes études. Pouvoir me faire de nouveaux amis, sortir, avoir des aventures d’une nuit ou plus sans que mon nom de famille n’entre en cause.

— Ne me fais pas regretter ma promesse. Au premier problème, tu reviens ou tu acceptes que Gregory et Yvan te babysitent.

— Ah non ! Oncle Youri est en permanence au dessus de mon épaule, ne viens pas reprendre les négociations papa ! On s’est mis d’accord pour que je prenne le nom de maman et que je sois une étudiante lambda parmi tant d’autres.

— Si et seulement si tu as des ennuis, convient-il. Je n’ai qu’une seule fille et tu es mon malen’koye solnyshko*. Tu vas nous manquer.

— Vous aussi.

Ma voix se casse d’émotions, mais je veux rester forte.

— Et puis, je t'emmène jusque là bas, conclut Youri avec un sourire sinistre. Je vais t'escorter pour sécuriser le trajet et vérifier le campus. Après, tu seras libre sans nous.

Youri m'entraîne vers le parking où ma voiture nous attend. Elle est pleine de cartons, de valises, jusqu’à mon cactus préféré coincé contre la vitre arrière. Mon père m’embrasse une dernière fois et tend les clés d’un air un peu dégouté en remarquant le porte clé à plumes roses.

— Un cadeau d’Helena, déclare ma mère.

— Pas moyen que je conduise avec ce truc.

Le bras droit de mon père, tueur de sang froid, refuse d’être vu avec. J’éclate de rire et les subtilise.

— Tu n’as qu’à t’installer à la place du mort, ça te changera pour une fois !

Je pleure de rire en le voyant se plier et s’insérer dans l’habitacle de ma petite voiture. Des larmes qui masquent celles que je retenais en quittant mon foyer pour quelques mois.

* mon petit soleil.

Le ProtecteurWhere stories live. Discover now