Chapitre 9 - Irina.

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Le brouhaha des étudiants est assourdissant. L’écho des discussions, des rires et des pas se réverbèrent sur les murs arrondis de l'amphithéâtre. Le premier cours de l'année va bientôt commencer et j’ai des papillons dans le ventre comme si j’étais à un rendez-vous.
La salle n’est pas pleine, nous ne sommes qu’une vingtaine à suivre le cours sur l’art dans l’histoire. Je choisis de m’asseoir à la troisième rangée au milieu et me glisse sur le siège relié à une tablette en bois. Le mobilier n’est pas des plus moderne car l’université veut garder son âme. je pose la main à plat dessus et effleure les petites ébréchures. Tant d’étudiants sont passés par ici, plein d’espoir et de rêves.

Une fille brune s’installe à mes côtés et m’offre un sourire timide. Elle serre son sac contre son ventre et tapote du bout de ses doigts nerveusement.

— Le meilleur spot pour entendre et voir, je lui murmure pour engager la conversation et l’aider à se relaxer.

— Comment ?

Rater, elle n’a pas suivi. Je désigne nos places puis le bureau sur l’estrade et le tableau noir en contrebas.

— Comme au cinéma.

— Ah ! Oui, me répond-elle en se détendant. Je m’appelle Stacy, je suis de l’Oklahoma.

— Irina, Milwaukee.

Des chuchotements querelleurs se font entendre à l’arrière et curieuse je me retourne avec ma nouvelle amie. Mes sourcils se relèvent de surprise, Falco est assis à quelques rangées de nous. Il n’a pas l’air heureux d’être là, mais je ne peux pas en être certaine. Son air sombre et mystérieux ne révèle rien. Un groupe de quatres filles se lève et change de place pour se rapprocher de lui.

— Waouh ! Quel beau mec !

L'expression sur le visage de Stacy est la jumelle de celles des groupies de mon coloc’. Remplie d’étoiles et de questions sur son origine et certainement la possibilité d’attirer cet inconnu mystérieux.
Falco jette un regard indifférent à leur proximité puis dépose de façon évidente son sac sur le siège voisin du sien.

— Il ne veut pas être ennuyé, semble-t-il, je ricane.

Je lui fait un signe de la main et profite que le professeur n’est pas encore là pour élever la voix :

— Qu’est-ce que tu fabriques ici ?

— Comme toi, je viens pour le cours.
Petit malin !

— Aha ! Tu ne m’en avais pas parlé.

— On ne s’est pas échangé nos programmes surtout, me balance-t-il en se penchant sur son dossier et en étirant ses bras.

— Pas faux ! Je suis surprise de ton choix de matière.

— Quoi ? Je n'ai pas une tête à suivre ce genre de formation ?

Attention ! Cette question est un piège. Si je réponds mal, je vais me faire passer pour une meuf avec des préjugés. Le reste des étudiants suivent notre discussion avec plus ou moins de discrétion. Il ne leurs manque plus que des pop-corn. Mes doigts me démangent de refermer la bouche ouverte de ma voisine. Les groupies sont en mode réflexion, à se demander comment je le connais et quelle est notre type de relation ?

La porte latérale s'ouvre brusquement, interrompant les conjectures de tout ce beau monde. Le calme revient et tous les yeux se tournent vers celui qui entre d’un pas rapide et assuré.

— Je suis Mark Anderson, Docteur en histoire de l’art, votre professeur pour cette année et peut-être les suivantes si vous êtes assidus, travailleur et surtout intelligents.

Ah ! C’est ce qui s’appelle une entrée en matière quelque peu surprenante. L’homme est âgé d’une quarantaine d’années et semble avoir un égo aussi imposant que son physique bedonnant. Il nous jauge l’un après l’autre, les mains posées sur le dossier de son fauteuil.
— Je vais faire l’appel pour mettre un visage sur un nom. Je suis physionomiste et donc je n'oublierai aucun de mes élèves.

Le professeur énonce les noms et prénoms et nous levons la main à notre tour. Je fais de même quand il m’appelle. Il écrit sur sa feuille, je suppose qu'il note une remarque pour nous distinguer. Dès la fin de l’appel, il reprend son discours en marchant de gauche à droite les mains derrière le dos.
— Mon cours n’est pas pour ceux qui pensent être en dilettante, je ne permets à personne de rester si ses notes sont médiocres. Ici, on étudie, on bosse, on sue à la tâche. Celui ou celle qui n’est pas prêt à se donner à trois cent pourcents peut partir maintenant !
L’ambiance bon enfant est désormais morte et enterrée. Mon enthousiasme est en pls. J’aime tellement cette matière. Mon rêve est d’ouvrir une galerie d’art pour découvrir et soutenir de jeunes talents. Je ne laisserai pas un professeur me l’enlever. Je viens d’un milieu brutal et sans concession, il ne me fait pas peur.
Je redresse les épaules et soutiens vaillamment son regard. Deux étudiants rangent leurs affaires dans leur sac en marmonnant entre leurs dents. Bien entendu, Falco ne bronche pas.
Le professeur nous tourne le dos, ignorant les déserteurs et commencent à écrire au tableau noir en grandes lettres capitales.

QUELLE RELATION Y A T IL ENTRE L’ART ET LE POUVOIR ?

— Voici le thème de votre premier essai à rendre dans dix jours. Le pouvoir se sert des images, des signes pour renforcer son influence. Mais… L’art peut lui aussi utiliser ses propres canaux pour aiguillonner le peuple et obliger les gouvernements à changer.

Mes notes dans mon cahier remplissent une page. J’ai déjà des idées, des exemples en tête. Je fourmille de phrases à écrire sous peine de les oublier. J’écoute tout en les listant sans ordre particulier.
Comment l’art peut être un pouvoir ?
L’art du pouvoir et le pouvoir de l’art.

— Tu comprends ce qu’il demande ? me chuchote Stacy.

— Peut-être.

— Silence ! Votre note définira votre présence future dans cet amphithéâtre. Mais !

Il lève un doigt, son sourire se voulant bienveillant et marque un temps d’arrêt pour appuyer son propos.

— J’offre à la meilleure note de travailler avec moi sur le vernissage qui présentera mes œuvres dans la galerie du Art Museum de l’université dans un mois et aura de ce fait une note plus élevée pour l’examen de Noël.

Oh ! Quel bel avantage ! J'aime la compétition et préparer un vernissage est tellement exaltant. Les murmures en bruit de fond me confirment que les autres étudiants réfléchissent déjà aux retombées de ce travail.

— J’espère avoir une bonne note, me souffle ma voisine.

— Tu ne vises pas la première ?

— Je ne suis pas assez forte pour ça. Je croise les doigts pour ne pas être virée du cours.

— On peut s’entraider si tu le désires.

—Tu crois ?

— Oui, il n’a rien dit sur les règles, et je suis la spécialiste pour repérer une faille.

— Heureuse de te connaître Irina alors.

On se serre la main et reprenons notre sérieux. Le prof n’a rien dit, malgré le fait qu’il a repéré notre discussion. Est-il un emmerdeur ou a-t-il essayé de marquer son autorité pour le premier cours ? Ces questions disparaissent de mon esprit au fur et à mesure des heures à écouter l’évolution de l’art pendant le moyen âge.
À la sortie, nous nous pressons devant la porte, impatients de respirer un peu d’air frais.

— Alors ? Tu le connais d’où ?

— Qui ?

— Le beau mec en noir.

Je suis son regard et croise celui de Falco. Il est à un mètre de nous et je suis certaine qu’il a entendu. Le coin de sa bouche se lève légèrement dans l’attente de ma réponse.

— Oh… lui. c’est seulement mon colocataire, rien d’important.

Le ProtecteurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant