Chapitre 20 - Irina.

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Comment a-t-il pu me laisser en plan comme ça ? Mon sang russe bout depuis qu'il est parti en coup de vent. Falco va me le payer, c'est promis.

J'ai entendu l'adresse quand son interlocuteur lui a donné par téléphone, il parlait assez fort et j'étais proche de Falco. Suffisamment pour qu'on soit à deux doigts de s'embrasser. Après une ou deux minutes de réflexion, j'ai pris mon sac et appelé un taxi. Oui, je l'ai suivi, comme un stalker. Je ne regrette rien, je ne peux renier mes racines. Mon père a toujours pris ce qu'il désirait, par tous les moyens. Je suis ses traces.

Arrivée à destination, je cherche un instant où il peut se trouver. Ce carrefour est pittoresque et comprend plusieurs échoppes et établissements. Le plus probable est ce restaurant d'origine espagnole. Comme je ne l'aperçois nulle part, je me dirige vers l'entrée. Il est peut-être à l'intérieur ?

Qu'est-ce qui est peut-être plus urgent, plus important ici que ce que nous étions en train de faire tous les deux ?

Il y a peu de clients sur la terrasse et même à l'intérieur. À travers les vitres de la devanture, je scrute les yeux plissés pour tenter de le repérer. L'endroit est sympa, typique et cosy. Nous pourrions y revenir avec Lily-Rose ou Stacy. Je pose à peine la main sur la poignée pour entrer que des doigts se referment et serrent mon coude. Le geste est brusque et m'oblige à me retourner, prête à en découdre. C'est Falco et il a l'air furieux.

— Mais qu'est-ce que tu fous ici, bordel ?

Il ne me crie pas dessus mais, le ton employé est encore plus incisif de ce fait. Il se prend pour qui avec ses questions ?

— Ce que je veux ! Tu m'as laissé en plan, je viens pour manger.

Je mens comme une arracheuse de dents et le regarde droit dans les yeux en le faisant. La colère de l'humiliation d'avoir été chauffée, puis jetée me donne des ailes. C'est gamin comme comportement, je le reconnais. C'est bien le premier mec qui me fait réagir comme ça.

— Comme par hasard ici ?

Il me repousse vers le trottoir, pressé pour je ne sais quelle raison de me renvoyer. Je le repousse et remarque de ce fait qu'il a les jointures de ses phalanges rouges et gonflées. Il s'est battu ! Ou a-t-il été attaqué ?

Je me fige à cette pensée. Le regard que je pose sur mon environnement change du tout au tout. La voix de Youri qui me sermonne depuis l'enfance reprend du service. Pendant que Falco tente de me diriger vers le taxi qui n'est pas encore reparti pour une autre course, je note des détails que mon subconscient avait zappé, submergé par mon mauvais caractère. Le restaurant est calme et propre, mais donne une impression de contrôle et de nervosité. Des hommes nous observent depuis un accès sur le côté. Ils sont de type mexicain.

Menya eto dostalo. (J'en ai marre, en russe) J'ai été entraînée à les repérer depuis l'enfance. Notre famille était déjà en guerre avec eux, bien avant la rencontre entre mes parents. Et voilà que je les retrouve dans le New Jersey ! Et mon colocataire est mêlé à un de leur business. Un malaise prend racine dans mon esprit.

— Entre dans ce foutu taxi Irina. Tout de suite !

J'obéis sans insister. Je reste muette le temps du trajet, réfléchissant aux conséquences de ce nouveau rebondissement. Falco ne tente pas de faire la conversation. Il a l'air d'être près à craquer. Il doit penser que je suis jalouse, que je le suivais pour faire une scène, ce qui n'est pas totalement faux. Et maintenant que je reste sage sur la banquette, j'ai l'air d'une petite fille boudeuse. Mais il se trompe, si c'est ce qu'il pense de moi. On va mettre les choses au point dès qu'on sera dans l'appartement.

Dès le seuil franchi, je n'y tiens plus. J'emmène Falco dans ma chambre en lui tenant le poignet. Docile, ce qui est étonnant, il se laisse faire, mais m'interroge tout de même.

— Je peux savoir ce que tu fabriques ?

— Tu t'es battu ! Tu as les doigts abîmés et gonflés, je vais donc te soigner.

— Et ?

— Et quoi ? répliqué-je hargneuse. C'est suffisant, je ne vais pas te faire la morale ou la leçon comme à un petit garçon, Falco. Tu es un adulte.

— Je parlais de ta présence là-bas, pas de la mienne.

— Moi ? Je voulais juste prendre l'air et manger un bout.

— Ce n'est pas l'heure de déjeuner, ne me raconte pas de conneries, siffle-t-il, à bout de patience.

— OK, je t'ai suivi. Pour connaître la raison qui t'a poussé à me laisser en plan. Mais toi, avec ce genre de personne...

Je secoue la tête inquiète de ses fréquentations. Je ne veux pas qu'il soit embarqué contre sa volonté dans un monde où on lui en demandera de plus en plus, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus jamais en sortir. Je glisse ma main sur ses abdos, dont je remarque leur présence indéniable et leur dureté, et pousse dessus pour qu'il s'assoit sur mon lit. Il grimace en se laissant faire.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

Avant d'entendre une réponse, je remonte son t-shirt et découvre un énorme hématome qui commence à bleuir.

— Falco !

— Ce n'est rien, pas de quoi s'inquiéter.

Ah les mecs ! Toujours à minimiser.

— Mais qu'est ce qu'il s'est passé ?

Je cours chercher une poche de glace et la lui applique doucement, puis attrape une de ses mains pour y badigeonner une crème. Bien entendu, il reste stoïque.

— Écoute ! Je ne suis ni ta mère ni une de tes sœurs...

— Heureusement ! répond-il d'une voix suave en arquant un sourcil.

— Arrête ! Je suis sérieuse. Tu ne devrais pas t'impliquer avec ces gens-là.

Comment lui dire que je connais ce monde et qu'il est dangereux ?

— Ce n'est pas grand-chose, juste un peu de bagarre.

— Un peu ? Tu es certain ?

— Ce ne sont que des combats, même si je sais que ce n'est pas très légal.

— Tu pourrais avoir des problèmes avec les flics et être renvoyé dans ton pays. Ça ne te fait rien ?

— J'ai bien vu que ces mecs, ceux pour qui je combats quelques nuits par mois donnent du frics aux poulets pour qu'ils détournent les yeux. Je crains rien.

— OK, mais tu pourrais être blessé gravement ou pire même.

—Tu commences à me connaître, je ne suis pas très sociable. Et, j'ai besoin de me défouler. Depuis tout petit, j'ai toujours trouvé une raison pour me battre. Un regard de travers, un mot plus haut que l'autre. Je suis plus calme dès que je sors d'une rixe, bien sûr gagnant. Ça me soulage de décharger mon trop plein d'énergie de cette façon.

Donc, il est conscient du milieu dans lequel il baigne, qu'il se bat pour des paris, pour des mecs louches. Mes soupçons s'effondrent, il ne peut pas être à la botte de mon père, engagé pour me surveiller, s'il bosse pour le clan adverse. Ce qui est problématique aussi d'ailleurs. Youri va péter un plomb, si je lui dis ce que je viens de découvrir. Je hausse les épaules en pensées, cette bataille sera pour un autre jour.

— Je connais une façon différente de se libérer de ses frustrations et de son énergie, je lui murmure à l'oreille tout en m'asseyant sur ses genoux.

Il relève les yeux et son regard accroche le mien. Un feu s'embrase, la tension explose pendant que je jette mes bras autour de son cou et que je l'embrasse.

Le ProtecteurWhere stories live. Discover now