Le Protecteur

Chapitre 7 -Irina

Accoudée à la fenêtre baissée du taxi, je passe la tête à l’intérieur et offre un sourire sincère au chauffeur. Nous avons passé tout le trajet entre l’appartement et la boîte de nuit à parler avec lui.

— Vous avez une carte ? Vous êtes sympa, on préfère être transportées par une personne comme vous.

— Voilà, me répond-il en tendant un rectangle de carton. Faites attention à vous les jeunes. Certains ne sont pas tout à fait finis, si vous voyez ce que je veux dire !

Un clin d'œil et un regard vers la boîte de nuit accompagnent ses recommandations. Des sifflets retentissent derrière moi pour confirmer ses paroles. Des compliments sur la longueur de mes jambes se mêlent à des rires un peu gras. Mais ceux-ci s’arrêtent de façon assez rapide. Je suis plus habituée à ce que ma tenue et ma position cambrée sur la portière attirent des remarques et chahut masculin qu’ à ce soudain silence.
Je me retourne pour comprendre le phénomène et je me retrouve face au dos de Falco. Le mec s’est interposé entre mes admirateurs et moi. Il n’a prononcé aucun mot, il a juste fixé le groupe d’hommes qui attendent devant l’entrée. Son seul regard suffit à les faire s’arrêter dans leur amusement.
Je tapote d’un doigt manucuré son épaule recouverte de cuir noir pour attirer son attention.

— Merci, mais je n’ai pas besoin d’un garde du corps. Je gère sans problème les réactions que je provoque.

— Tu en es certaine ? Parce que certains ont l’air prêts à remonter dans ce taxi avec toi et pas juste pour te raccompagner.

— Oh ! Ne t’en fais pas. À part quelques cris d’animaux, il ne faut rien attendre d’autre de leur part.
J’allais continuer à le titiller quand Lily-Rose revient en sautillant et m'agrippe le bras.

— Viens, on entre. C’est Marc à l’entrée, il m’aime bien et ne nous fait même pas payer.

Notre colocataire n’ayant toujours pas bougé d’un pouce, Lily lui lance :

— Falco ? Tu te décides ou tu restes ici à les fusiller du regard ?

Tout ce que j’entends par-dessus le rire de ma coloc est un marmonnement en italien. il va falloir le dérider un peu s’il veut participer à notre soirée. Nous entrons en poussant un Jimmy réticent. Sans nous, il n’aurait jamais eu le sésame pour être admis dans la boîte de nuit, sa tenue étant trop coincée pour ce genre d’établissement. En comparaison avec les 7 Péchés Capitaux, le club select appartenant à mon père, la clientèle n’est pas la même. On entre ici qu’avec des tenues sexy et tendances. Les costumes cravates sont bien trop sérieux ou ringards pour ce lieu, à forte fréquentation d’étudiants.
Nous nous installons à une table basse entourée par une banquette en demi-cercle en cuir. Elle est idéalement positionnée. Pas trop loin du bar, ni de la piste de danse. La musique est forte et entraînante. Mon sang coule plus vite dans mes veines.
Une serveuse vient prendre notre commande de boissons. Elle se penche sur Falco pour mieux entendre ses paroles, bien que je soupçonne qu’elle veuille surtout lui montrer son décolleté. Ses seins qui débordent sont colorés par un mandala qui lui remonte jusque sous la mâchoire. C’est à peine si Falco y jette un œil.
Lily-Rose m'entraîne sur la piste sans attendre que nos verres arrivent. Les gars restent assis. L’un semble à l’aise, le bras étendu sur le dossier de la banquette, un pied croisé sur son genou. Il pourrait être plus détendu, bien que je devine que ce soit dans sa nature. Le deuxième est assis, droit et figé dans sa chemise de grand-père. Son malaise me fait mal au cœur. Pendant que je danse et prends du plaisir sur le rythme des basses, je concocte un plan pour que Jimmy puisse profiter de cette nuit lui aussi.

La soirée passe entre danses et verres. L’alcool n’est pas trop fort et les boissons sont rafraîchissantes. Lily et moi avons un fou rire quand, après avoir entendu Falco commander un simple jus d’ananas, nous lui avons choisi une Pina Colada à la place sans l‘avertir. Après une première gorgée, son regard froid prometteur de vengeance m’a donné envie de continuer à le rendre fou. Surtout que ce mec est sexy. Son attitude renfermée et sombre m’est familière. Il pourrait très bien vivre dans mon monde.
Alors que nous sommes à danser sur une musique de Lady Gaga, à prendre des poses et attitudes sensuelles, quatres jeunes hommes viennent s’interposer entre nous. Ils nous imitent et tentent de prendre le dessus en souriant de leurs belles dents blanches. Leurs tenues sentent le fric à des kilomètres, de leur chemise de luxe à leur montre en or. Ils sont de notre âge, je repère un anneau à leur doigt, une chevalière aux armes de l’université. Donc ce sont des étudiants comme nous, et ils font partie d’une équipe de sport. Certainement du baseball, vu leurs carrures plus petites que celles des quaterbacks.
Certains de leurs attraits, ils se collent à nous, posant leurs mains sur nos hanches. L’un deux, blond aux yeux bleus, se frotte d’une façon à ce que je sente qu’il est excité par mes formes. J’aime m’amuser, mais je ne les ai pas invité à venir près de nous. Lily-Rose me jette un coup d'œil et grimace. Dans cet échange de regards passe toute une discussion. On se comprend sans parole.
D’un seul mouvement, je me retourne, écrase le pied de mon admirateur trop collant et le repousse. Dans ma vision périphérique, je remarque que ma coloc a fait de même. Surpris par nos mouvements coordonnés, ils reculent en râlant.

— Avant de toucher, demande si la fille est intéressée, je lance en mettant une main sur ma hanche.

— On est là pour s’amuser, pas pour se faire peloter, ajoute Lily-Rose.

— Allez ! Vous n’attendez que de vous faire…

Je lève un doigt menaçant pour le couper avant qu’il ne prononce une stupidité machiste.

— Retourne chez ta mère, les fils à papa ne nous amusent pas. On veut danser, c’est tout.

Les quatres mecs restent quelques secondes de trop à hésiter. Ils aimeraient tenter une nouvelle fois leur chance, mais notre refus les trouble. Ils n’ont certainement pas l’habitude de se faire rembarrer.

— Viens, on va se repoudrer le nez ! proposé-je à Lily-Rose en lui prenant la main, les plantant sur la piste comme des imbéciles.

Arrivées près du couloir où se trouvent les toilettes, je repère notre groupe d’admirateurs. Pour se consoler de notre affront à leur égo, ils se dirigent vers le bar. De loin, je ne comprends pas ce qu’il se passe tout de suite, puis un rire franchit mes lèvres. Une fille vient de bousculer Jimmy qui revenait vers notre table avec des verres en main. Un de ceux-ci vole et éclabousse la tenue du blondinet qui m’a collée. Falco rattrape Jimmy, il est assis sur un tabouret du bar d’où j’imagine, il avait une vue d’ensemble sur notre duo pendant qu’on dansait. La tension monte entre eux. Mon instinct me dit que c’est mal parti.

— Attends, je crie à Lily, il y a un problème !