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Inspirer et monter. Expirer et descendre. Le plus lentement possible.

Recommencer.

Les yeux fermés, Séra termina sa série de tractions, et relâcha la barre pour atterrir avec un bruit mat sur le sol caoutchouteux. Tout en secouant ses bras et ses poignets raidis pour les décontracter, elle contempla le tube de métal rouge enrubanné de mousse antidérapante au-dessus d'elle, et le trouva dénué de toute dentelure. Une boule de chaude satisfaction se lova dans sa poitrine à cette constatation.

Il y avait aussi le bruissement d'une conversation proche, qui titillait ses oreilles. Elle l'ignora de son mieux pour savourer son moment, mais son cerveau ne pouvait s'empêcher d'en décrypter quelques bribes par intermittence.

-Sans lumière, pendant quoi, cinquante heures ou je sais pas-

Son tout premier entraînement de boxe avec Astrid lui paraissait à la fois proche, et terriblement lointain. Un sourire éclaira son visage, en songeant à l'appréhension qu'elle avait ressenti à l'époque. Depuis, la salle de sport du sous-sol de la villa était devenue un endroit accueillant pour elle, grâce à la barmaid.

Elle avait pourtant abîmé quelques trucs. Les indices de son passage étaient encore visibles sur des haltères distordues, mais sa nouvelle méthode impliquait heureusement de délaisser la plupart du matériel. Les exercices de callisthénie qu'elle pratiquait ces derniers temps ne visaient plus la force pure, au profit de la connaissance du moindre de ses muscles. Un retour aux sources, en somme.

Pendant une ou deux heures, presque tous les jours, elle s'appliquait ainsi à tous les sentir, jusqu'à la moindre fibre. À tous les comprendre. Et à tous les contrôler.

-Un questionnaire en ligne. Mais impossible de le retrouver quand j'ai-

Le contrôle. Rien qu'à l'idée, la boule de satisfaction gonfla un peu plus, douce et cotonneuse. Elle avait confusément conscience, au fond, que ce besoin d'emprise se nourrissait de son impuissance passée. Qu'elle le canalisait mais qu'il pouvait encore dérailler, tapis dans l'ombre. Que ça aurait déjà été le cas, si Dante ne s'était pas trouvé sur son chemin au moment de son évasion, à la Nouvelle-Orléans.

La calme influence du jeune homme lui avait apporté un soutien salvateur dont il n'avait probablement pas idée, en la distrayant de la colère acide qui lui rongeait l'âme.

Il la distrayait d'ailleurs là, tout de suite. Très agréablement cela dit, alors que le souvenir de leur moment sous les étoiles s'infiltrait dans ses pensées. Il était descendu dans l'antre avec Virgile, un peu après leur retour de l'atelier, mais son dernier regard rempli d'envie lui donnait encore une délicieuse chair de poule. Sa hâte de le retrouver était piquante, douloureuse et difficile à contenir. Comme un filin crocheté à son nombril, en tension permanente, qui l'attirait vers lui. Mais en même temps, une partie d'elle endurait et rallongeait le supplice avec une pointe de masochisme, en sachant la saveur que l'attente pouvait apporter à leur réunion.

Une chose était certaine, elle aurait mille fois, dix mille fois préféré l'entendre lui, plutôt qu'Amos et Mona qui comparaient leurs modes de recrutement respectifs depuis une bonne heure. Sans surprises, le mercenaire avait plutôt mal pris la différence flagrante de traitement, et Séra le comprenait. Un peu. Après tout, il était plus ou moins assigné à résidence, tandis que la détective était libre d'aller et venir à sa guise.

Comme Lev l'avait anticipé, la petite démonstration qu'ils avaient fourni chez Irène, Dante en auto-guérissant une coupure sur le dos de sa main, elle en pliant un vieux trépied métallique, n'avait été que la goutte d'eau finale pour la convaincre de prendre leur affaire. Les enjeux et les forces en présence semblaient avoir eu autant d'effet sur la rouquine qu'une montagne de cadeaux sur un enfant, s'ils avaient été en plus remis par le père Noël en personne. Ni Virgile, ni Astrid, via leurs réseaux mystérieux, n'avaient trouvé de trace d'un quelconque client insatisfait ou d'un manquement à l'éthique de la part de Mona. Alors à l'issue de l'entretien, lorsqu'elle avait demandé l'accès à la villa, le hacker n'avait pu qu'accepter.

Nano.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant