Chapitre 24 : Emrys

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Laelynn n'eut pas conscience du voyage en voiture ni du paysage changeant que nous traversons. Elle sommeille, perdue dans un sommeil profond, son souffle léger me semblant étrangement paisible pendant que je conduis. La route vers la vieille maison de campagne de ma famille, refuge de ma mère aujourd'hui malade, serpente à travers des collines verdoyantes, des bosquets d'arbres noueux et des champs de fleurs sauvages. Chaque virage dévoile une nouvelle palette de couleurs, des éclats de jaune vif des tournesols aux nuances apaisantes des violettes. Pourtant, tout cela m'échappe, comme si le monde extérieur n'est qu'un rêve flou, en décalage avec l'urgence de ma mission.

Le crépuscule nous enveloppe lorsque nous arrivons enfin. La lumière diffuse du jour déclinant, peigne doucement le coin sombre du ciel, infligeant une tranquillité presque troublante à la scène. La maison, isolée et éloignée de la civilisation, se dresse avec sa stature imposante, ses murs de pierre rugueux témoignant d'une époque révolue. Un jardin autrefois splendide, maintenant envahi par des herbes folles et des ronces, entoure la bâtisse avec une étreinte sauvage. Le chant des grillons et le craquement des feuilles sous mes pas offraient la seule bande sonore présente, une symphonie nocturne qui semble chuchoter des secrets oubliés. La lune se lève, projetant ses lueurs sur la façade délabrée, ajoutant une touche fantomatique à cet air déjà chargé de mystère.

Je sors doucement Laelynn de la voiture, la tenant fermement contre moi. Elle est toujours inconsciente, son poids, bien que léger, commence à peser lourdement sur mes épaules fatiguées. Ses cheveux épars flottent doucement, effleurant ma joue comme une caresse involontaire, une sensation à la fois réconfortante et douloureuse. En poussant la lourde porte de chêne, je suis accueilli par le craquement de la vieille structure et l'odeur familière des souvenirs emprisonnés. La maison m'accueille comme un lieu chargé de secrets que je ne suis pas sûr de vouloir affronter.

Ma mère se tient dans l'ombre du salon, sa silhouette frêle se dessinant à peine à la lueur vacillante des bougies disséminées çà et là. Elle est éveillée, bien que son état de santé déclinant lui donne des apparences spectrales, presque irréelles. Ses yeux, voilés par une brume de souffrance permanente, se posent sur Laelynn, une lueur de compréhension émanant d'un passé où la douleur fait aussi partie de son quotidien.

— Emrys, murmure-t-elle, sa voix cassée, mais à la douceur toujours intacte qui est cette jeune fille ?

Je baisse les yeux sur la jeune femme dans mes bras, un mélange de culpabilité et de protection émergeant.

— Maman, c'est Laelynn. Elle... elle a vu des choses qu'elle ne devait pas. Mais je jure que c'est pour son bien que je l'aie amenée ici.

Ma justification résonne faiblement, même à mes propres oreilles. Ma mère n'a pas besoin de plus d'explications ; elle hoche simplement la tête. Elle connait l'obscurité de ma vie mieux que quiconque, ses propres batailles résonnant dans le silence chargé de notre histoire familiale.

Je conduis Laelynn à une chambre spacieuse à l'étage, décorée avec un mobilier d'une autre époque, mais encore empreinte d'une charmante élégance passée. Le couloir menant à la chambre est long et austère, des portraits ancestraux de membres de ma famille jalonnant les murs, leurs visages figés dans un temps révolu, leurs regards semblent suivre mes pas avec une curiosité silencieuse. Ils ont tous connu des luttes, des épreuves, des amours et des pertes, et je me demande ce qu'ils auraient pensé de ma situation.

Le lit à baldaquin, juché contre le mur farci de vieilles tapisseries, et les meubles patinés rendent hommage aux souvenirs d'un temps éculé. Je la dépose délicatement sur le lit, replaçant une mèche de cheveux sur son visage pâle. La voir ainsi vulnérable, me déchire autant que cela m'apaise. Un frisson d'inquiétude parcoure mon échine alors que je me demande ce qui se passe dans son esprit assoupi, quelles images troublantes l'assaillent dans ce sommeil qui semble aussi profond que l'abîme.

Je lève les yeux vers la fenêtre où la lumière de la lune, filtrée par de lourdes tentures, baigne la pièce d'une lueur argentée. Chaque rayon semble tisser des ombres dansantes sur les murs, projetant des silhouettes éphémères qui emprisonnent l'essence même de ce lieu chargé de mémoire. Je reste là un moment, immobile, observant Laelynn, me perdant dans les pensées tumultueuses qui tourbillonnent dans mon esprit.

À quel point sa vie a-t-elle été bouleversée pour qu'elle se retrouve ici, dans cette maison où les regrets et les souvenirs se mêlent comme un ancien parfum, à la fois familier et étrangement étouffant ?

Je laisse mes pensées dériver alors que je descends lentement les escaliers, chaque marche résonnant doucement dans le silence de la maison, comme un écho de mes propres incertitudes. Dans le salon, ma mère est toujours là, assise dans un vieux fauteuil en velours usé, son regard perdu dans les flammes vacillantes d'une bougie. Je peux voir la lutte qui se jouait sur son visage ; elle est à la fois soulagée de m'avoir près d'elle et inquiète de ce que j'ai ramené avec moi.

— Mon fils, commence-t-elle, sa voix à peine plus qu'un murmure. Pourquoi cette fille ? Que lui est-il arrivé ?

Je m'assois sur le bord d'un vieux banc en bois, le cœur lourd.

— Elle... elle est en danger, Maman. Des choses qu'elle a vues... des gens qu'elle a rencontrés... Je ne pouvais pas la laisser là-bas. Je ne pouvais pas la laisser affronter ça seule.

Ma mère ferme les yeux, comme si chaque mot que je prononce creuse un nouveau sillon de douleur dans son cœur.

— Tu sais ce que cela signifie, n'est-ce pas ? Amener une étrangère ici, dans ce lieu où nos secrets sont enfouis. As-tu réfléchi aux conséquences ?

Je hoche la tête, mais l'angoisse me saisit. Je sais que la maison a ses propres fantômes, des voix du passé qui peuvent se réveiller à tout moment.

— Je le sais, mais je ne pouvais pas la laisser seule. Elle a besoin de protection, comme nous en avons tous eu besoin à un moment ou à un autre.

Ma mère ouvre les yeux, et pendant un instant, une lueur de compréhension illumine son visage fatigué. Elle sait ce que c'est d'être accablé par des choix difficiles, d'être confronté à des réalités sombres.

— Très bien, Emrys. Mais nous devons être prudents. La maison a ses règles, et elle ne tolérera pas les intrus.

Je frémis à l'évocation de ces règles, des murmures que j'avais entendus dans mon enfance, des histoires que ma mère avait racontées à voix basse, comme si les murs eux-mêmes pouvaient entendre et réagir. La maison était vivante, pulsante d'une énergie ancienne, et elle n'appréciait guère l'intrusion.

— Je ferai tout ce qu'il faut, affirmé-je, déterminé. Je garderai Laelynn en sécurité. Mais pour cela, je dois comprendre ce qui lui est arrivé, et ce qu'elle sait. Elle n'est pas simplement une victime ; elle a un rôle à jouer dans tout cela.

Ma mère acquiesce lentement, son regard se perdant à nouveau dans les flammes de la bougie.

— Alors, fais attention, mon fils. Ce que tu cherches pourrait te coûter plus cher que tu ne l'imagines. Je connais ton cœur aussi bien que le mien. Peu importe ce que tu as fait, cette douleur que tu vois en elle, elle vit aussi en toi. Ne te laisse pas consumer.

Sa main se tend vers moi, des doigts fins et tremblants cherchant les miens. Ce contact, si délicat, est chargé de réconfort.

Je me lève, inquiet, mais résolu. Je dois retourner dans la chambre de Laelynn. Je dois être là lorsqu'elle se réveillera, pour lui parler et découvrir la vérité. En remontant les escaliers, je sens une tension palpable dans l'air, comme si la maison elle-même attend, prête à réagir à chaque mot, à chaque émotion.

Lorsque j'arrive devant la porte de la chambre, je prends une profonde inspiration avant d'entrer. Elle est toujours allongée sur le lit, son visage serein, mais je peux sentir l'angoisse sourde qui émane de son cœur même dans son sommeil. Je m'approche et m'assois sur le bord du lit, caressant doucement sa main. Ses doigts sont froids, et je me demande ce qui l'attend à son réveil, quelles vérités elle porte avec elle.

— Laelynn, murmuré-je, ma voix à peine un souffle, tu es en sécurité ici, je te le promets.

À mesure que je parle, je remarque un frémissement sur ses lèvres, comme si elle est sur le point de se réveiller. Je me penche un peu plus près, espérant capter un signe de conscience, mais son visage reste paisible, plongé dans un sommeil troublé. Les ombres dans la pièce semblent s'intensifier, projetant des formes étranges sur les murs.

Emprise infernale [ TERMINÉE en réécriture ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant