Déambulation anarchique

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Je me fis toute petite, le temps que les regards insistants sur ma personne cessent. Non mais enfin ! Ils n'ont rien de mieux à faire que de persécuter du regard la folle qui s'était fait culbuter aux yeux de tous ? Euh, non, renverser serait plus correct. Enfin.

Je poussais un soupir de soulagement. Tout allait bien, j'étais redevenu transparente. Autant qu'on pouvait l'être avec des cheveux d'un roux éclatant du moins. J'avais de temps à autre, pendant mes promenades ou mes pérégrinations, des passants qui se retournaient pour mieux regarder mes cheveux. Moi je les aimais beaucoup mais j'aurais tout de même préféré ne pas avoir besoin de passer des heures une brosse à la main à tenter de les démêler. C'est vrai quoi ! Ils ne pouvaient vraiment pas arrêter de n'en faire qu'à leur tête ?!?!

Mince. Je vis au regards que l'on me jetait que j'avais, encore, recommencé. Je fis un petit sourire contrit et me déplaçait vers un autre groupe. Il y avait là une équipe américaine que j'admirais, enfin plus spécialement deux joueurs. J'écoutais les conversations alentour en attendant de pouvoir m'approcher. Le duo était assez comique par leur physique : en effet ils étaient très différents. L'un avait un visage poupin qui lui donnait un air adolescent tandis que l'autre se laissait pousser une barbe qui le vieillissait. Le plus âgé n'avait que vingt cinq ans mais faisait parti des doyens du tournoi. Il était très connu pour son petit carnet où il recensait les forces, les faiblesses, les champions favoris et les caractéristiques de chaque joueur et de chaque équipe. Ces deux joueurs étaient très forts dans leurs combats en duo et savaient petit à petit prendre le dessus sur les adversaires. Ils ne combattaient pas beaucoup mais d'un coup, sans savoir comment ils en étaient arrivés là, on remarquait qu'ils avaient beaucoup plus d'or que leurs opposants et donc des objets plus puissants et, pouf, ils déroulaient leur jeu et ils gagnaient de manière facile.

On retrouvait aussi ce contrôle durant la phase passive du jeu des Hurricane, mon équipe favorite, mais, pour leur part, ils adoraient amorcer des batailles entre les équipes au complet et leur niveau de jeu faisait le reste. Un combat gagné à un moment stratégique de la partie et c'était dans la poche de cette talentueuse équipe. Les deux coréens (Kim et Shin) retournaient des combats qui semblaient perdus d'avance et faisaient assez régulièrement le décalage qui permettait à leur équipe de dominer, jusqu'à la victoire. Il n'y avait pas à tergiverser, ces deux là formaient une sacrée paire tant dans l'équipe que dans leur vie comme les photos et les publications sur les réseaux sociaux le laissait sous-entendre. Malgré (ou grâce) leurs origines asiatiques ils avaient de nombreux fans en Europe, notamment par leurs merveilleux résultats. Les Hurricane n'avaient pas perdu un seul match de la quinzaine qu'ils avaient disputé pendant les championnats régionaux.

En parlant de fans, ceux qui entouraient le duo américain étaient finalement partis ayant eu leurs autographes et leurs photos. Je pouvais enfin m'approcher et après avoir pris moi aussi une photo avec eux (eh oui on est supporter ou on ne l'est pas) je restais discuter quelques minutes avec eux. Mon anglais n'était pas parfait mais ils faisaient des efforts pour diminuer leur accent et parler lentement et distinctement. Je ne les imaginais pas aussi accessibles et j'en fus agréablement surprise. Je pus donc discuter avec eux stratégie, choix des champions et des objets. Ayant remarqué mon pull agrémenté du logo des Hurricane ils me conseillèrent en rigolant de supporter leur équipe plutôt et m'expliquèrent certaines des forces et des faiblesses de cette grande structure. Ils me firent l'honneur de me citer quelques phrases de leur précieux petit calepin à leur propos. A ma question sur des pages éventuelles les concernant ils me répondirent qu'évidemment il y en avaient et qu'elles étaient même très détaillées puisqu'ils se côtoyaient quotidiennement et avaient donc beaucoup de matière et de détails. J'eus droit à un clin d'œil et ils me redirigèrent vers leur site officiel pour me tenir au courant des prochaines rencontres avec leurs fans en France. Ils semblaient me trouver amusante et un peu naïve aussi je crois.

En voulant vérifier le temps restant avant le premier match je fus surprise. J'avais passé un assez long et agréable moment avec les américains et la compétition commençait dans une heure seulement. Nous étions priés de nous rendre à nos places dans la salle pour la cérémonie d'ouverture. J'avais payé la mienne assez cher, il fallait bien l'avouer, et grâce à une de mes connaissances, je me retrouvais très proche de la scène, tout en étant surélevée pour pouvoir voir les visages des joueurs. C'était d'ailleurs cette même personne qui avait pu m'avoir une des rares rencontres avec l'équipe de son choix. Derrière les équipes et aux quatre coins du stade étaient disposés des immenses écrans qui retransmettaient la partie. Les joueurs étaient alignés, regroupés par écurie et par poste.

Cette année, grande révolution, nous étions à Paris alors les organisateurs du jeu avaient décidé que les commentateurs (aussi appelés casteurs) invités au stade et retransmis sur les écrans géants seraient des grandes figures françaises de l'e-sport. Ils savaient instaurer une ambiance particulière dans la salle, un peu mieux que les anglais, qui avaient la fâcheuse habitude de parler pour les spectateurs derrière leurs écrans. L'impatience commençait à se faire sentir et tout un chacun y allait de son pronostic sur les équipes gagnantes, les scores, les champions, ... L'ensemble des casteurs chauffait la salle comme jamais auparavant et avant même que la cérémonie ait commencée nous avions déjà fait trois mouvements de vagues dans le public.

J'imaginais ma mère me répétant encore et encore, pour mieux me faire imprimer disait-elle, que les jeux vidéos rendaient stupides et violents. Les joueurs étaient dans leur bulle et restaient seuls, très loin du monde réel. Elle ne pouvait simplement pas concevoir qu'un « simple » jeu comme celui-ci brasse des milliards de dollars. Rendez-vous compte, la récompense pour l'équipe gagnante était un prix d'un milliard de dollars américains. C'était, tout simplement, un autre monde, un autre univers. Et pour quelques jours, moi, Sophie Martiz, jeune étudiante parmi tant qu'autres, allait en faire parti. Tant de découvertes se profilaient à l'horizon. Tant de joies et de rencontres.

Je ne pensais pas me tromper en imaginant une semaine chargée en émotions.


Une compétition excitanteWhere stories live. Discover now