Que le show commence

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La lumière s'éteignit et la vidéo de présentation se lança sur les écrans. C'était parti. Les championnats du monde venaient officiellement de débuter. Les organisateurs avaient tout prévu et cette ouverture par la vidéo qui circulait sur le net depuis des mois pour annoncer la compétition était un très bon moyen de ramener le calme parmi le public et un silence presque religieux se fit. Les meilleurs joueurs de chaque région étaient présents et les équipes se faisaient face. Asie du sud-est &Taïwan, Europe, Amérique du Nord, Corée, Chine et les brésiliens et les turcs qui n'avaient pas de championnats régionaux. Tous voulaient le succès, la victoire et la gloire. La caméra allait ensuite à la rencontre de quelques joueurs qui disaient parfois pourquoi ils se trouvaient ici. L'on pouvait voir également des images marquantes des années passées. C'était particulièrement frappant ; les joueurs nous fixaient comme si ils souhaitaient nous transmettre un message et la musique en fond venait appuyer cette atmosphère spéciale.

Soudain les spectateurs se déchaînèrent. Les équipes rentraient en scène par ordre de classement aux championnats inter-régionaux. Il y eut d'abord les trois équipes américaines. Ils étaient très appréciés mais malheureusement, malgré les dépenses faramineuses des structures outre-atlantique, ils semblaient toujours échouer au pied du podium. Le public français, poussé par les présentateurs très enthousiastes, se montrait très fair-play et applaudit avec autant d'intensité les chinois qui vinrent ensuite. Les quinze joueurs se tinrent quelques instants sur le podium par équipes et passèrent ensuite dans l'allée au milieu des spectateurs pour laisser la place à la région suivante. Vinrent ensuite les deux structures taïwanaises et deux équipes invitées : les brésiliens et les turcs.

L'ambiance montait assez rapidement, au fur et à mesure des présentations des équipes et des joueurs eux-mêmes. Les deux premières équipes coréennes furent acclamées mais ce n'était rien comparé à celle qui venait ensuite. L'enthousiasme était palpable quand les champions du monde en titre entrèrent et la salle se déchaîna. Ces cinq joueurs étaient considérés comme l'élite. Invaincus cette année, dominant très largement les compétitions l'année précédente, tous les imaginaient remporter le titre sans grande contestation. En Corée du Sud, le jeu vidéo est une institution. Les sommes mises en jeu étaient faramineuses et l'on parlait d'échelle industrielle. Dès leur plus jeune âge ils étaient plongés dans cet univers et cela les favorisait grandement. Les championnats s'étaient tenus à Séoul la saison précédente et l'affluence avait été énorme.

Des acclamations me firent revenir au présent. C'était le tour des européens et les spectateurs ne tenaient plus sur leur chaises. Hurricane ! Ils rentraient enfin sous les cris du public. Sans m'en être rendue compte, j'étais debout, j'allais même monter sur ma chaise pour exprimer au mieux mon enthousiasme. Je me rassis précipitamment en songeant que malgré mon mètre soixante si je me mettais à crier debout sur mon siège je serais un peu trop exposée à la vue de tous. Il valait bien mieux profiter du spectacle devant que d'en être un à moi toute seule. On l'appellerait « la femme hystérique ». Ou la fan plutôt. Je ne savais pas exactement. Zut. J'étais encore perdue dans mes divagations et les Genesis et les cinq autres européens se trouvaient déjà sur scène, ayant été appelés un par un. Pour certaines équipes et de nombreux compétiteurs, ces championnats étaient leurs premiers et l'on pouvait sentir l'émotion qui les étreignait en cet instant de participer à cet événement tellement important. Mais, parmi ces seize équipes et les 84 joueurs (la plupart d'entre elles avaient des remplaçants à certains postes) seule une ressortirait vainqueur et détentrice de la coupe. Seule cinq ou six joueurs se partageraient le butin d'un milliard de dollars (et leur structure bien évidemment). Ce championnat du monde était une réelle compétition et un marché assez lucratif.

Le premier match était sur le point de commencer. Une structure taïwanaise contre les brésiliens. Les joueurs furent appelés et se placèrent au centre de la scène devant les ordinateurs. Le coup d'envoi fut donné et tout pouvait commencer. Tout d'abord, la phase de choix des champions, joueur par joueur. Bien plus crucial qu'on ne pouvait le penser ce choix et la composition des équipes allait orienter l'ensemble de la partie. Il fallait donc trouver les meilleurs arrangements tout en gênant le plus possible les adversaires en les empêchant de prendre leurs champions favoris. Chaque équipe éliminait trois champions du match et choisissait ensuite sa composition. Cette phase était très tactique et était orchestrée par les coatchs qui avaient passé de longues heures à analyser et décortiquer chaque combat, choix et action. La plupart des joueurs qui prenaient leur retraite (vers vingt-cinq ans) devenaient entraîneurs d'équipe ou gérant de structure.

La sélection se termina et sous les acclamations du public et les encouragements des présentateurs le match démarra.

Cinq champions contre cinq autres. Le terrain de jeu se composait de trois chemins principaux avec une multitude de chemins secondaires. On les nommait communément la top lane pour celui du haut, la mid lane pour le milieu de la carte et la bot lane (abréviation de bottom qui signifie le bas). L'arrangement habituel mais qui pouvait être amené à changer au cours du match plaçait un joueur en top (top-laner), un autre en mid (mid-laner) et un duo sur le bot (le hunter et le support). Le cinquième joueur était très mobile et parcourait potentiellement tout le terrain pour venir appuyer les points forts ou consolider et défendre les points faibles de son équipe. L'objectif était de repousser un maximum l'adversaire et de le tuer suffisamment longtemps pour parvenir à détruire sa base tout en protégeant la sienne

En début de partie, les joueurs essayaient de prendre l'avantage sur l'adversaire en amassant plus d'or et d'expérience en tuant les champions ennemis ou les monstres du jeu. Pendant les dix premières minutes, il n'y eut pas beaucoup d'action, les joueurs campant sur leurs positions. Puis, à la douzième minute, le jungler (le joueur mobile) se déplaça avec succès sur la voie du bas et cela permit à son équipe de tuer leurs adversaires, en sous-nombre. Ils prirent l'avantage quelques minutes et sauvegardèrent quelques objectifs mais les turcs semblèrent se reprendre en main et à la seizième minute de jeu ce furent eux qui se regroupèrent pour essayer de passer à l'offensive. Les dix champions se toisèrent et l'un d'entre eux vit une ouverture et engagea le combat. C'était une mêlée générale qui se termina au bout de quelques secondes. Je n'avais pas pu suivre le déroulement entier de l'action, trop rapide, mais le combat fut rediffusé au ralenti immédiatement avec les commentaires des présentateurs. Deux champions de l'équipe turque étaient morts contre trois pour les brésiliens. Les joueurs se déplaçaient maintenant sur la totalité du terrain pour créer des escarmouches et mettre l'ennemi en position de faiblesse. La caméra ne savait plus où donner de la tête, des combats se déroulaient sur l'ensemble de la carte et la bataille pour les champs de justice était sévère. Il était très difficile de déterminer quelle équipe avait l'ascendant sur l'autre et le prochain combat à cinq contre cinq pour la capture d'un objectif serait décisif et déterminerait sûrement l'issue du match.

Le public retenait son souffle et on pouvait entendre la fébrilité dans la voix des casteurs. Je trouvais la compétition très prenante chez moi, derrière mon écran mais ici cela atteignait un tout autre niveau. L'impatience était grande et tout le monde se pencha en avant quand les deux équipes se regroupèrent. Il y eut instant de flottement et les champions se rencontrèrent dans une bataille acharnée. J'admirais le talent de ces joueurs qui avaient des réflexes incroyables et une connaissance des mécaniques du jeu très poussée. En observant plus précisément le combat je vis que les brésiliens avaient réussi des enchaînements de sorts et réparti les dégâts sur l'ensemble de leurs champions ce qui leur permettait d'achever leurs adversaires un à un par ordre de dangerosité. Ils purent ensuite se rendre à la base ennemie et la détruire, gagnant ainsi le match. Échec et mat.

Les supporters brésiliens étaient déchaînés. Certains dansaient, d'autres prenaient des inconnus dans leurs bras. Le stade était subitement devenu très bruyant et beaucoup s'étaient levés. Quelques personnes quittèrent l'enceinte, sûrement fatiguées par cette rencontre de longue haleine ou pour se désaltérer. Il faisait assez chaud dans cet espace fermé et le thermomètre risquait de monter encore de quelques degrés avant la fin de la journée, considérant le nombre exorbitant de spectateurs confinés dans le stade.

La rencontre entre les turcs et les brésiliens avait été très intéressante et vraiment agréable à regarder. Il y avait eu beaucoup de rebondissements et la partie s'était départagée sur une unique action après plus de trente-cinq minutes. Je ne regrettais vraiment pas d'être venue ici pour assister directement à ces championnats du monde. A vrai dire je ne pouvais que m'en réjouir en voyant les équipes qui prirent place après la sortie des structures turque et brésilienne. Les Hurricane allaient affronter la troisième équipe coréenne.



Une compétition excitanteWhere stories live. Discover now