Chapitre 1

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J'inspire à plein poumons en tentant de sentir mon thorax se soulever puis s'affaisser. Je me sens prête. Pourtant je ne parviens pas à calmer le tremblement de mes mains. Pourquoi ne se tiennent-elles donc pas tranquilles ? J'essuie nerveusement mes paumes moites sur la belle robe bleue que je porte. Elle me tombe sous les genoux et son bustier rehausse ma mince poitrine. Mes longues jambes sont mises en valeur par des escarpins associés à la robe. Je me sens jolie, vêtue ainsi, féminine. D'habitude, j'ai plutôt l'air frêle et maladroit, comme si j'allais me casser en mille morceaux dès que je fais un pas de travers – ce qui se passe assez souvent, malheureusement. Des jambes trop grandes pour ma petite taille, un corps un peu osseux... Heureusement, j'ai quelques formes pour arrondir le tout.

J'essuie une goutte de transpiration perlant entre mes sourcils. J'aimerais mieux éviter de ruiner le peu de maquillage que j'ai sur le visage. Un fin trait de crayon accompagné de mascara encadre mes yeux d'un bleu vif, et mes lèvres trop pleines sont colorées de rouge, plutôt orangé. Je n'apprécie pas les couleurs criardes, surtout en ce qui concerne le maquillage. De toute façon, les règles sont claires sur la manière de se maquiller pour la cérémonie, tout comme de s'habiller ou de se comporter. Nous avons toutes reçues le même fascicule ainsi qu'une clé transmetteuse, nous expliquant la procédure à suivre. Les différents types de maquillage, neuf au total, y sont détaillés. J'ai, bien entendu, choisi le plus simple.

Une main fraîche se pose sur mon épaule. Ma mère me sourit :

- Ta coiffure est très jolie, me rassure-t-elle en faisant glisser entre ses doigts ma chevelure d'un roux tirant sur le brun, ils sont tellement difficiles à dompter.

Elle dit vrai. Je refuse pourtant qu'on approche la moindre paire de ciseaux de mes longs cheveux épais et ondulant depuis plusieurs années, si bien qu'ils descendent aujourd'hui jusqu'à mes hanches.

Pour l'occasion, j'ai simplement ramené les mèches de devant à l'arrière de mon crâne à l'aide d'une jolie pince.

- Tu es si belle, murmure ma mère.

Je me surprends à espérer qu'elle dit la vérité. Je ne me suis jamais réellement poser la question.

- Pourvu qu'il me convienne, chuchoté-je.

Comme je suis plantée debout au milieu du salon, ma mère me repousse doucement en direction du canapé et m'impose de m'y installer, puis elle prend mon visage dans sa main.

-Il ne peut que te convenir, chérie. Chaque prétendant est assimilé à sa prétendante selon leurs physiques, leurs niveaux d'intelligence, leurs caractères ainsi que leurs centres d'intérêts. Aucun mariage n'a échoué depuis...

- Je sais tout ça, dis-je plus brusquement que je ne l'aurais voulu.

- Astrya, l'époux que le gouvernement t'aura choisi te conviendra, je te l'assure, assène-t-elle plus sèchement.

Je la fixe de mes yeux trop grands, trop bleus et je me demande comment elle fait pour ne jamais douter. Autrefois, avant les Années Noires, dit-on, chacun pouvait choisir d'épouser qui il souhaitait. Si, au départ, cela a plutôt bien fonctionné, par la suite les mariages échouèrent davantage chaque année et à l'aube des Années Noires, quatre-vingt pour cent d'entre eux se terminaient. Incroyable, non ? Le mariage est pourtant un acte symbolique si fort qu'il doit être respecté à vie. Aujourd'hui, nous n'avons, de toute façon, pas le choix. Le fait de briser un mariage est possible uniquement à certaines conditions très strictes et il nous faut passer devant un tribunal, jugés comme des criminels. Ceux qui en font la demande sont alors marginalisés pour le restant de leurs jours.

Cependant, je ne critique pas la société dans laquelle je vis, elle nous a offert un gouvernement lorsque les humains se livraient bataille pour de survivre. Aujourd'hui, il est juste de respecter les lois et règles, aussi éloignées d'antan soient-elles, qui nous sont dictées, pour notre propre sécurité. Si le sentiment d'amour était autrefois privilégié, il existait également la famine, la guerre, les maladies, la haine, la violence, des disparités impressionnantes entre chaque pays, ou même entre chaque homme. Certains, peut-on lire dans les livres interdits que je dévore, vivaient dans des « villas », des « palaces », logement très spacieux possédant des dizaines de pièces et des meubles d'un grand luxe, avec des terrains immenses et une piscine privatisée, alors même qu'à la rue d'à côté, des familles s'entassaient dans un très petit appartement, mal meublé, et où les enfants dormaient les uns sur les autres. Et encore, je ne présente pas les extrêmes. Cela me semble inconcevable.

J'ai grandi dans une ville où toutes les maisons sont semblables, et où chaque couple choisit le placement de ses meubles avant d'y emménager – des meubles tous identiques et remplacés dès qu'ils sont usagés. Je sais que dans les autres villes, il en va de même : la conformité est de rigueur, et cela même pour éviter les disparités entre tous.

The Choice of FreedomWhere stories live. Discover now