1-Caleigh

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— Tu es sûre, tu ne veux pas que je t'emmène à l'aéroport ?

Je regarde ma sœur et pousse un grognement. Le matin est le pire moment de la journée pour moi. Inutile de me parler tant que je n'ai pas avalé mon café et fumé ma cigarette – habitude déplorable d'après ma mère, que je me fais une joie d'entretenir juste pour le charmant regard noir qu'elle ne manque jamais de me lancer.

Sasha vient s'asseoir en face de moi, de l'autre côté du comptoir, et me fixe patiemment, avec ce petit sourire qu'elle me jette depuis notre enfance – celui qui me dit que je finirai de toute façon par lui répondre. Les gens ont souvent du mal à intégrer, en nous voyant, le fait qu'elle et moi sommes réellement sœurs. Sasha est une bombe, grande, blonde, la peau joliment halée par le soleil de Californie. Pour couronner le tout, c'est aussi une tête : sortie major de sa promotion avec deux ans d'avance, elle termine actuellement son cycle d'internat en pédiatrie au centre Lucile Packard de Stanford et elle n'a que 26 ans. Bref, elle a tout pour elle : beauté, gentillesse, intelligence. Moi, c'est autre chose ; je suis petite, mes cheveux n'ont visiblement pas choisi leur couleur définitive – on ne sait pas trop s'ils sont blonds, cuivrés ou châtains. Comme moi, ils sont rebelles, indisciplinés. Là où ma sœur est douce et délicate, je suis un bulldozer et une grande gueule.

Je sais que je suis plutôt jolie, mais rien à voir avec Sasha. Je fais des études d'art, ce qui au départ avait ravie mère qui me tanne pour que je marche ses pas, ce qui revient à devenir la femme d'un éminent chirurgien et parader lors de soirées caritatives. Comme si j'avais une tête à jouer les potiches... Sa joie s'est vite tarie lorsqu'elle a découvert – grâce à une petite souris qui avait laisser traîner des invitations pour une exhibition – que lorsque je ne suis pas en cours, je travaille dans un bar, disons, un peu spécial. Rien de bien méchant, en fait, si on excepte le fait que j'y performe environ trois soirs par semaines en petite tenue. Je m'adonne, entre autres, au body painting, une discipline qui me permet de donner libre cours à mon imagination. L'Underground Art Coffee, ou UAC, a vocation de faire émerger de jeunes talents de la scène artistique du Village, en plus d'être un débit de boisson et une boîte de nuit. C'est le lieu rêvé pour présenter mes travaux, qu'il s'agisse de photographie ou de peinture. En outre, je suis aussi une serveuse plutôt agréable et efficace.

En somme, contrairement à la voie que ma mère avait tracée pour moi, j'ai choisi un cursus un peu moins rangé et traditionnel. En deuxième cycle à l'école des arts visuels de New York, je me destine à devenir... en fait, je ne sais pas vraiment ce que je veux faire. J'aime la peinture, la photographie, la sculpture. Les cours théoriques m'ennuient profondément, mais il faut malheureusement en passer par là. Je rêve du jour où je décrocherai mon master. En attendant, grâce aux relations de ma famille, j'ai décroché il n'y a pas très longtemps un stage au célèbre MoMA. J'y travaillerai deux samedis par mois. Évoluer au milieu des prestigieuses collections de ce musée me rend folle d'excitation, je n'ai qu'une hâte : accéder au département photographie dont la richesse et la qualité dépasse mes rêves les plus fous. Bosser à l'UAC est un plus. Est-ce que je fais ça juste dans le but de contrarier mère ? honnêtement, je ne me suis pas attardée sur la question mais il doit y avoir en effet quelque chose dans ce goût-là. De toute façon, j'ai l'esprit de contradiction, alors venant de moi ce n'est pas étonnant. Parfois, je me demande si mes parents n'auraient pas souhaité n'avoir que Sasha comme enfant. Je ne dis pas que ma sœur fait tout bien comme les parents nous le dictent, elle aussi a eu sa mini révolte, puisqu'elle est venue s'installer à San Francisco pour faire ses études à Stanford au lieu d'entrer à Columbia et devenir résidente en médecine à Mount Sinaï. Un léger coup sur le haut de mon crâne vient me ramener à la réalité. Je lance un regard assassin à Sasha qui me sourit innocemment. Comment fait-elle pour être toujours de bonne humeur et au top de la forme alors qu'elle vit à cent à l'heure ? Je l'ai assez peu vue durant ces quatre jours passés à San Francisco puisqu'elle a été de garde à l'hôpital tout le week-end. Du coup, pour se faire pardonner de son absence, elle a insisté pour qu'on sorte hier soir. Nous sommes rentrées tard – et passablement éméchée pour ma part – et elle n'a absolument pas l'air affectée par la fatigue.

A tes souhaitsWhere stories live. Discover now