La mosquée bleue

464 23 0
                                    

Désormais, je sais.

Et je ne peux rien raconter à personne. Je suis censée porter ce secret seule, durant sept semaines ! Le dimanche soir, Simon part avec son frère chez leur papa avant de reprendre l'avion pour Istanbul le lundi matin. Ma soeur m'appelle, tout autant pour me remercier du repas de famille que j'avais organisé que pour prendre de mes nouvelles. Elle me connaît, elle devine que le départ de Simon me rend tristounette, même si nous sommes d'accord : sept semaines sans le voir ce n'est pas bien long après les huit mois d'éloignement déjà écoulés.

Ma voix manque d'entrain, il y a bien davantage que la tristesse de la séparation qui me turlupine. Que je le veuille ou non, l'angoisse s'accroche à mon estomac, la peur se mêle à mes pensées et chasse la sérénité qui était mienne encore l'avant-veille. J'ai essayé de faire bonne figure devant Simon, pourtant sa conversion est un choc qui m'ébranle au-delà de l'imaginable.

Charlotte, ma soeur me questionne sur mes états d'âme. Je lui avoue qu'il y a un événement pas évident qui m'est tombé dessus mais que je ne peux rien dire. Je suis estomaquée de l'entendre me répondre :

– Quoi ? Simon est devenu musulman ?

– Tu ne crois pas si bien dire...

Ma soeur éclate de rire. Elle fait celle qui s'étonne que j'y voie un souci.

– Où est le problème ? Il ne va pas poser des bombes que je sache !

Je ne trouve pas cela drôle, pas drôle du tout. Par sa plaisanterie, elle me coupe l'herbe sous les pieds, je n'ai plus envie de lui confier mon ressenti. Je me sens encore plus seule qu'avant son appel. Pour donner le change, je lui demande :

– Comment as-tu deviné ?

– Il n'a pas bu de champagne à l'apéro et pas de vin à table. Et puis j'ai vu les regards que vous vous êtes échangés lorsqu'il nous a parlé de la salle de prière au cinquième étage de sa maison. Il y avait quelque chose d'étrange qui flottait dans l'air.

– Simon ne souhaite pas que l'on en parle pour le moment. Garde-le pour toi. C'est à lui de l'annoncer à ses cousins quand il reviendra. J'espère que cela se passera bien, qu'ils ne le jugeront pas.

– T'inquiète, ce ne sont pas des abrutis. Début juillet, nous serons tous ensemble durant une semaine.

En vacances, ce sera le bon moment pour lui de s'exprimer et de répondre aux interrogations de la famille.

– Et toi, cela ne te choque pas le moins du monde ?

– Ben non, je trouve ça cool un musulman dans la famille. Un peu de diversité ne fera de tort à personne.

Facile à dire, ce n'est pas son fils chéri qui s'est converti ! Se la joue-t-elle zen pour dédramatiser et pour ne pas alimenter ma frayeur ? Ou bien est-elle sincère ? Est-ce moi qui suis ridicule de me sentir bouleversée ? La conversion de Simon estelle un « non-event », juste une petite anecdote ? Il est certain que je ne le perçois pas de la sorte. Je ne désire pas prolonger la conversation avec Charlotte. Apparemment, ce soir nous ne sommes pas sur la même longueur d'onde. Elle est jouette, je suis sérieuse et perturbée. 

Je raccroche un peu vite. Ensuite je me lance dans le rangement du salon, je cherche à m'occuper l'esprit, en vain. Je monte me coucher, sans joie. Moi qui d'habitude adore le moment où je rentre dans mon lit, ce soir je me sens triste sans comprendre pourquoi ce sentiment m'habite.

J'ai peur aussi, même si cette peur me déplaît. Qu'est-ce qui m'effraye donc tant ? Et pourquoi le dégoût de moi et la honte se mêlent-ils à mon angoisse ? J'aimerais pouvoir mettre des mots sur ces sentiments douloureux, les exprimer pour mieux les comprendre. J'aimerais m'en dissocier, les éloigner de moi, diminuer leur intensité. 

Mon fils s'est converti à l'islamOnde histórias criam vida. Descubra agora