Le partage

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Je suis invitée à une pendaison de crémaillère, chez des amis de Simon. Il est convenu que je puisse interviewer Pedro, un jeune converti dont j'aimerais transcrire l'histoire. Je passe une bonne heure àdiscuter avec les différents convives qui m'accueillent dans leur cercle. Je suis la maman de Simon, j'écris un livre, je suis atypique et je suscite la curiosité. Je picore dans les différents plats du buffetappétissant en attendant que Pedro se sente prêt à s'isoler avec moi.

Après le café, Pedro et moi montons à l'étage. Nous nous installons dans la pièce où des réunions de partage spirituel ont lieu les dimanches matin. Une grande partie de l'espace est occupée par un large canapé mauve, bas et confortable. Dans un coin, une table ronde en fer forgé se tient contre la fenêtre.

Nous serons plus à l'aise sur les chaises hautes qui l'entourent. J'invite Pedro à s'asseoir. Je devine une appréhension qu'il tente de dissimuler avec timidité et respect. Simon l'a informé de mon souhait de l'interviewer. 

Comme mon fils, il s'est converti à l'islam et son expérience m'intéresse. Je lui explique que je changerai son nom, que je respecterai ce qu'il me dira et qu'il n'a rien à craindre. Il sourit sous son visage un peu tendu, son regard foncé est empli de profondeur, de force mêlée de vulnérabilité, d'humilité et de douceur. Il est d'accord d'essayer de me parler, tout en s'excusant à l'avance s'il n'y arrive pas. Je tente de le rassurer, je lui poserai des questions, ce sera facile.

Il hésite un instant devant ma proposition de l'enregistrer, je lui confie que ma mémoire n'est pas bonne et que je suis certaine que ses mots seront plus beaux que ceux que je reproduirais seule. Il n'ose pas refuser. Je le sens fragile et bon. 

Pendant le premier quart d'heure, sa lèvre inférieure tremble tandis que les phrases se succèdent et que sa vie défile devant moi. Ensuite, il gagne en confiance, il lui devient plus facile de se raconter même si l'émotion est à fleur de peau, contenue et à la fois si présente. Je l'écoute, consciente du cadeau qu'il me fait, de l'effort incontestable que cela lui demande. Pedro, merveilleux jeune homme de 25 ans. Voici son histoire.

« Avant de décrire le cheminement spirituel qui a conduit à ma conversion, je souhaiterais raconter le contexte de ma naissance, celui de mes premières années. Ma mère tomba enceinte à 16 ans, dans les années 80 en Espagne. Elle venait d'une famille catholique. L'annonce de sa grossesse déclencha un séisme : mes grands-parents n'étaient pas aussi ouverts qu'aujourd'hui, l'époque était différente. Ils ne supportèrent pas le regard des gens. Deux semaines après ma naissance, toute la famille quitta l'Espagne pour s'installer en Suisse, où mon grand-père trouva une place d'enseignant dans une école internationale.

Ma mère était la plus jeune de la fratrie, sa grossesse ne fut pas vécue dans la joie. Elle subit maintes pressions de la part des aînées qui lui en voulurent beaucoup de devoir quitter leur ville natale. Ma mère se sentit seule, rejetée, infiniment triste. Elle aussi perdit son pays, ses amis, et même sa famille puisque ses soeurs lui tournèrent le dos. Elle termina son cursus scolaire en suivant des cours par correspondance, pendant que ma grand-mère m'éleva.

Peu après mon deuxième anniversaire, ma mère quitta la Suisse pour entamer ses études en Belgique.

Mes tantes partirent aussi de la maison et je restai seul auprès de mes grands-parents. Nous allions ensemble à la messe les dimanches, ils me parlaient de la religion avec des mots simples. Le soir, mon grand-père me racontait les histoires de prophètes, les histoires de la Bible. 

À l'époque, je ne connaissais pas l'origine de ces contes magnifiques, je ne la compris que plus tard en relisant la Bible et le Coran. Avant d'éteindre la lumière, ma grand-mère priait avec moi, nous récitions le : Je vous salue Marie en espagnol, suivi de prières pour enfants qu'elle m'apprenait.

Mon fils s'est converti à l'islamWhere stories live. Discover now