Le quotidien

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En progressant dans l'écriture de ce livre, j'ai rêvé un moment de le terminer le 15 mai, une année, jour pour jour, après ma découverte de la conversion de Simon. Je m'imaginais me lever à 5 h 21 pour mettre le point final à mes écrits, pendant qu'à l'étage au-dessus de moi mon grand garçon serait debout, courbé et agenouillé sur son tapis de prière.

Ce n'est pas ce qui s'est produit.

Le lundi 14 mai, Thibaut a 18 ans. De retour du lycée, il doit se préparer pour la remise de son travail de fin d'études. Il se croyait fin prêt, lorsque, juste avant la sortie de l'école, un enseignant donne de nouvelles consignes contradictoires par rapport à celles selon lesquelles Thibaut a déjà réalisé son panneau de présentation. Thibaut est rentré furieux à la maison. Il lui faut recommencer le panneau pour le lendemain, et il a d'autres devoirs à faire le même soir. Tout cela, le jour de ses 18 ans....

Je lui propose mon aide. Le plan « bon resto » tombe à l'eau. Au lieu de fêter dignement ce passage à la majorité, dès mon retour du bureau nous expédions un repas préparé sur le pouce. Dans la foulée, nous passons des heures à couper des textes et des photos avant de les coller pour préparer le nouveau matériel de présentation de son exposé. Je l'abandonne à minuit trente, il ne lui reste plus qu'à terminer un devoir oublié dans la bataille. 

Je m'endors comme une brique, d'un sommeil lourd et vide de rêves. Lorsque le réveil sonne à 6 h 45, je comprends, avec étonnement, que j'ai fait l'impasse sur l'anniversaire de mes 5 h 21 ! Ainsi va ma vie : j'ai deux lascars sur lesquels se concentrent mon amour et mes pensées, cette nuit du 14 au 15 mai avait été celle de Thibaut. Les années se suivent et ne se ressemblent pas...

J'aime aussi l'idée que la vie a sans doute repris son cours normal, paisible. Comme si le fait que Simon soit musulman ne chamboule plus mon univers. Ce bouleversement ne provoque plus de vague. Bien au-delà de l'acceptation, il est devenu partie intégrante de mon quotidien.

Pourtant le chemin ne fut pas un long fleuve tranquille. Loin de là !

Malgré ma volonté tenace de positiver et de découvrir le beau chez les musulmans que j'apprends à connaître de jour en jour, il y eut aussi des instants de crainte qui surgirent sans crier gare. Le dernier date du mois passé. Un changement dans le comportement de Simon tira une alarme en moi, un événement que je ne connaissais pas l'avait perturbé. 

Je le sentais inquiet et déstabilisé. Une peur que je croyais disparue s'engouffra dans mon être, elle prit possession de mes nuits que le sommeil quitta. Que se passait-il ? Pourquoi mon fils évitait-il mon regard ? Pourquoi se tortillait-il sur place si je parlais de la publication du livre ? Que me cachait-il ? Ne supportant plus ni les non-dits, ni l'angoisse palpable qui croissaient en lui et que mon instinct maternel ressentait douloureusement, je provoquai la discussion.

Mon grand garçon m'avoua qu'il avait parlé du livre que j'écrivais à l'un des adultes qui encadraient les soirées d'échanges spirituels auxquelles Simon participait encore de temps en temps. À sa grande surprise, cet homme lui avait tenu un discours inquiétant, voire menaçant. 

Il avait prévenu mon fils que si le livre était publié et que s'il nuisait à la communauté musulmane, mon fils ne serait plus le bienvenu dans le groupe. Cet individu avait prétendu qu'un livre sur sa conversion était une atteinte à son intimité et qu'il ne devait pas en accepter la publication. Il avait utilisé son emprise d'enseignant respecté pour exiger de recevoir une copie avant la publication. 

Il insistait pour revoir le manuscrit afin de censurer les passages qu'il jugerait inappropriés. Il affirmait que par les temps qui courent, avec tous ces jeunes qui sont partis se battre en Syrie, les convertis étaient désormais fichés et que le livre porterait préjudice à Simon car les autorités découvriraient sa conversion. Mon fils était partagé entre sa confiance en moi et l'emprise que cet homme essayait d'avoir sur lui. 

Mon fils s'est converti à l'islamWhere stories live. Discover now