L'incompréhension

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Simon est rentré d'Istanbul. Pour se rassurer, il a d'abord annoncé sa conversion à son frère avant d'en parler à son père. Thibaut n'a pas été surpris, ni choqué. Plus perspicace que moi, il déclare :

– Cela ne m'étonne qu'à moitié, je m'y attendais. Chacun fait ce qu'il veut, où est le problème ?

Où est le problème ? Posée simplement, la question semble légitime, raisonnable. Pourtant, Simon et moi savons qu'il y a des familles où la conversion d'un des enfants crée des secousses qui ébranlent toute la structure familiale sur leur passage. Il est donc normal d'appréhender la discussion avec Paul.

Fidèle à sa nature, Paul prend sur lui, il écoute l'annonce de son fils. Il devient blême, mais ne prononce aucune parole qu'il regretterait par la suite. Il questionne Simon, serre le poing pour tenter de contrôler les émotions qui montent en lui. Il avoue combien cette nouvelle le bouleverse. Simon sait, Simon comprend. Il déplore la souffrance qu'il voit se dessiner sur le visage de son papa stoïque.

Paul refuse sa proposition de lire la vie du Prophète.

– Je n'ai pas envie de lire quoi que ce soit pour le moment, mon grand. J'ai besoin de temps, besoin de digérer.

Paul ajoute, après une courte pause :

– Je te demande de ne rien dire à ta grand-mère, cela la tuerait...

La maman de Paul habite le rez-de-chaussée de la maison, elle est « catholique, vieille France » et son époux flirtait avec l'Opus Dei. Paul exagère donc à peine, sa mère a 80 ans et il ne sert à rien de la déstabiliser en fin de vie. Il y a peu, mes fils, ses uniques petits-fils l'accompagnaient encore à l'église pour lui faire plaisir, alors de là à lui parler de mosquées... le pas est trop grand. Paul a raison.

– Tu pars dans quelques jours en vacances avec ta maman, à ton retour, lors de nos deux semaines en Provence, nous aurons le temps de revenir sur tout ceci. De mon côté, je vais essayer de trouver des gens qui connaissent bien l'islam, un professeur en théologie par exemple. Je n'ai pas le temps pour des livres, je préfère m'adresser directement à un expert.

Simon s'empresse de suggérer :

– Je connais quelqu'un qui t'éclairerait et répondrait à toutes tes questions, papa.

– Non merci, je préfère choisir moi-même. Je ne désire pas rencontrer, pour le moment, les gens qui t'ont converti.

– Ce ne sont pas des gens qui m'ont converti, papa, c'est un appel de Dieu.

Paul ne laisse pas Simon l'embarquer sur ce chemin, il hoche la tête et la main pour indiquer que cela suffit. Le sujet est clos. Paul a besoin de rester seul, Simon l'embrasse et quitte la pièce.

Élevé dans le christianisme pur et dur au parfum d'Opus Dei, Paul est devenu agnostique, il exècre l'église et ses religieux. Je pense d'ailleurs qu'il rejette tout lieu de culte, quel qu'il soit. Il ne peut entendre la phrase de son fils lui parlant d'appel de Dieu, il ne perçoit que de la manipulation d'adultes qui recrutent de jeunes idéalistes dans leurs rangs, et en l'occurrence ces rangs islamiques sont pour lui très difficiles à digérer.

Paul m'appelle quelques heures après sa discussion avec Simon. Il a besoin de me voir au plus vite. Je le comprends, je réalise combien la nouvelle de la conversion de notre enfant lui est pénible.

J'apprécie l'écoute bienveillante qu'il a accordée à Simon alors que tout en lui hurle à la panique. Nous mangeons ensemble, dès le lendemain. Il m'interroge :

– Comment cela a-t-il pu se passer ? Qu'est-ce qui nous a échappé ? Que peut-on faire ? Est-ce passager ? Est-ce que Simon changera d'avis et comprendra son erreur ?

Mon fils s'est converti à l'islamWhere stories live. Discover now