L'identité

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Quelques semaines après avoir rendu l'invitation à la famille d'Ali, les garçons et moi recevons Soumaya et Nasser. Ce couple trentenaire tunisien passa un long week-end à Istanbul au printemps dernier, des connaissances communes les présentèrent à Simon qui leur servit de guide durant leur séjour turc. 

Ils témoignèrent d'une grande affection pour mon fils dès l'instant où ils perçurent sa belle connaissance de la culture locale, sa facilité linguistique, sa profonde spiritualité et sa maturité étonnante. Ils avaient envie de nous rencontrer, Thibaut et moi, ils furent donc nos seconds invités musulmans.

Pour l'occasion, j'ai découvert une large gamme de jus de fruits délicieux qui depuis font partie de mon panier d'hôtesse attentive au respect des coutumes de chacun. Simon et ses amis m'ont éloignée des champagnes, kirs et autres élixirs habituels que je servais à l'apéritif. J'ai aussi banni toute alimentation non halal quand je les reçois. Oui, je m'adapte et j'avoue que plus je suis reçue par de nouvelles amies musulmanes d'origine nord-africaine, plus je me sens une piètre cuisinière. 

Mes mets me paraissent simplistes, si peu exotiques comparés à leurs nombreux plats gourmands et colorés. J'essaye de jouer la carte locale, mon soufflé au fromage rencontre un succès réel, mes salades de chèvre chaud au miel, mes tartes au citron, mes mousses au chocolat et mon tiramisu alimentent les sourires autant que les estomacs.

Tout comme la maman d'Ali, Soumaya porte le voile. Par contre, à la différence des femmes que l'on croise dans les rues, elle ne le maintient pas à plat, serré autour du visage. Non, son foulard est un ornement, un accessoire magnifique monté à la mode malaisienne, mi-turban, mi-tresse sur le haut de la tête. 

Je la trouve belle, moderne, pétillante d'énergie, d'intelligence et de passions. Elle est ostéopathe et assistante à l'université. Le courant passe entre nous. Son mari est un peu plus réservé, discret, grand, calme, posé. Il écoute plus qu'il ne parle, il observe avec bienveillance. Il est commercial dans une entreprise de transports. 

Je les devine complémentaires, bien assortis. Le cliché des musulmanes soumises à leur époux s'effondre tel un château de cartes devant la forte personnalité de Soumaya. Mon invitée n'a rien d'une demi-portion placée au second plan. Elle est une partenaire égale au sein d'un jeune couple contemporain. Je suis heureuse de les recevoir.

Comme je me sens à l'aise en leur compagnie, j'ose des questions sur l'islam et sur la perception que les musulmans installés en Belgique ont de leur environnement. Je commence par ce qui m'intrigue le plus, et que j'ai encore du mal à comprendre : le port du foulard. Je demande à Soumaya si elle le porte depuis toujours. À ma grande surprise, elle me répond :

– Pas du tout, je ne le mets que depuis deux années.

Mon esprit est pris d'assaut par une association simpliste : Soumaya et Nasser ne sont pas mariés depuis bien longtemps, serait-il responsable du port du foulard de son épouse ? J'espère ne pas les heurter par ma question spontanée.

– Est-ce Nasser qui t'a demandé de le porter ?

Le jeune homme sourit devant ma naïveté, il lève discrètement les yeux au ciel avec l'air de dire : « Si seulement elle savait... ». Ma logique doit lui sembler bien absurde, si caricaturale. Soumaya n'est ni vexée, ni dérangée par ma candeur. Elle aussi sourit, pendant que Simon m'observe du coin de l'oeil en me trouvant, sans doute, un brin insortable.

– Non, c'est mon choix. Nasser ne se serait jamais permis de m'influencer sur ce sujet. Il est conscient que cette décision est personnelle et importante.

Je suis surprise, j'ai besoin de comprendre pourquoi une jeune femme moderne qui termine son doctorat, et qui possède son cabinet d'ostéopathe, a choisi du jour au lendemain de changer sa façon de s'habiller et de porter le foulard. Je l'interroge sur son éducation religieuse.

Mon fils s'est converti à l'islamWhere stories live. Discover now