Chapitre 1: L'attaque

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Cela faisait maintenant quatre heures qu'Herenui luttait sans relâche. Quatre heures durant lesquelles elle n'avait pas pu reprendre son souffle. C'était sa première bataille et c'était également la première fois qu'elle ressentait une telle fatigue. Malgré les mitaines, ses mains commençaient à se couvrir d'ampoules. Ses bras semblaient peser une tonne et ses jambes, elles, étaient de plus en plus flageolantes. Elle qui d'ordinaire était légère et agile avait l'impression d'être lente et à contretemps.

A la fatigue s'ajoutait la frustration. La frustration de ne pas savoir pourquoi ces hommes du Grand Continent s'en prenaient à eux, et celle d'avoir l'impression que leur nombre était infini. A chaque fois qu'elle éliminait un ennemi, un autre prenait sa place. Combien étaient-ils donc? Que voulaient-ils?

Mais Herenui n'avait pas le temps de tergiverser. Un nouvel adversaire se présentait déjà face à elle, criant à plein poumons. La jeune fille ne se laissa pas intimider et resserra ses mains sur la poignée de son épée Paumotou, du nom de son peuple. Elle para aisément l'attaque et riposta d'un coup précis, qui ne laissa aucune chance au guerrier.

Derrière, elle entendit Hinevara, sa préceptrice, battre la retraite:

-On se replie! Regroupez vous dans les halles du marché! S'écria la guerrière.

Herenui suivit donc l'ordre de sa supérieur et se réfugia dans le grand bâtiment, dont les lourdes portes furent refermées et verrouillées. Le hall était un monument massif, construit pour stocker des victuailles dans un environnement optimal: de grands murs en terre cuite, épais, combinés à un système d'aération efficace, gardant la fraicheur de la nuit lors des grandes chaleurs et résistant aussi aux violents cyclones passant régulièrement sur l'archipel.

Enfin à l'abri, elle put reprendre son souffle quelques instants et s'asseoir, donnant à son corps le repos qu'il réclamait. Très vite cependant, une forte sensation de soif l'assaillit. La chaleur du jour et les combats l'avaient déshydratée sans que la jeune fille ne s'en rende compte. Dans un réflexe, elle essaya d'humecter ses lèvres, ce qu'elle regretta immédiatement: son visage couvert de sueur et de sang avait un goût infect, qui renforça encore plus son désir d'eau. Malheureusement pour elle, la fontaine se trouvait à l'extérieur du bâtiment. Il faudrait donc faire sans.

-Ca va? Lui demanda Hinevara, arrivant à sa hauteur

-Je suis fatiguée et j'ai soif, répondit Herenui d'un ton neutre.

-Tiens, fit la guerrière, qui détacha une outre qu'elle avait à la ceinture. Bois en autant que tu veux.

Son élève ne se fit pas prier et avala de grosses gorgées d'eau qu'elle sentit couler en elle. L'eau avait-elle été toujours aussi rafraichissante? Enfin désaltérée, Herenui redevint plus lucide et contempla ses compagnons d'armes autour d'elle. Les Paumotous n'étaient plus qu'une trentaine, la plupart en piteux état.

-Va-t-on s'en sortir? Demanda-t-elle calmement à Hinevara

Plusieurs regards se tournèrent vers la jeune fille, qui avait demandé tout haut ce que tout le monde pensait tout bas.

-Combien d'ennemis as-tu tué ou blessé? répliqua la préceptrice à sa disciple, remarquant que l'attention était braquée sur elles.

-Euh, je ne sais pas, répondit herenui, j'ai arrêté de compter après dix.

-Hé bien si tout le monde ici fait comme toi, nous survivrons, déclara la femme, suffisamment fort pour que tous ses subordonnés puissent l'entendre.

Hinevara ne se faisait pas trop d'illusion, mais elle devait galvaniser ses troupes, non les démoraliser. Elle n'aimait pas trop mentir à Herenui mais à quoi bon lui dire la vérité dans cette situation?

La prestation de son élève était époustouflante pour une adolescente de quatorze ans, bien que cela ne surprenait pas trop Hinevara: Herenui avait toujours démontré une dextérité hors du commun, que ça soit dans le maniement des armes ou en mission d'infiltration. Faire vivre l'espoir en elle lui permettrait de continuer à se transcender.

Un instant, la jeune femme vit défiler dans sa mémoire sa rencontre avec Herenui, trois ans plus tôt. Hinevara était alors en quête de son premier disciple. Elle s'était rendue à l'orphelinat géré par sa guilde où les enfants étaient entrainés à devenir des mercenaires d'élite.

Elle avait observé les recrues attentivement et repéré cette fillette qui ne payait pas de mine, silencieuse et stoïque mais qui s'avéra être animée d'un désir de survie et douée d'un talent brut. Hinevara avait eu un peu de mal à cerner le caractère d'Herenui mais elle avait appris à la connaître et à interpréter ses émotions.

Elle regarda son élève et se demanda si leurs années ensemble avaient permis à cette dernière de changer un peu. Difficile à dire, pensa-t-elle, un petit sourire étirant sa bouche lorsqu'elle se rappela quelques moments cocasses passés avec Herenui.

-Tu devrais prendre tes deux sabres plutôt que ton épée à deux mains. Ils te seront plus pratiques pour te battre dans un espace réduit, conseilla Hinevara à Herenui.

Silencieusement, cette dernière acquiesça et s'exécuta. Herenui devait se préparer car les continentaux essayaient déjà d'enfoncer la porte. Lorsqu'elle se leva, tout son corps protesta, envoyant de nombreux signaux de douleur et de fatigue. Elle souffla un grand coup, cherchant à évacuer toutes ces sensations désagréables. Elle ne voulait pas abandonner. Elle ne pouvait pas s'arrêter la.

Inlassablement, les coups de bélier résonnaient dans le hall, accompagnés de craquement de bois. Plusieurs Paumotous tentèrent de bloquer la porte, mais cette dernière céda après plusieurs minutes et une marée d'étrangers déferla dans le bâtiment.

-Je vais essayer d'attirer leur attention, glissa Hinevara et Herenui. Profites-en pour les éliminer.

-Compris.

La technique de la guerrière et de son élève était dévastatrice. La première attirait l'attention de ses adversaires avec des mouvements flamboyants tandis que la deuxième profitait de l'inattention de ses ennemis pour frapper. La jeune fille ne comptait plus ses victimes: elle agissait à l'instinct, profitant de la moindre opportunité.

La rage de vivre d'Herenui lui permettait de se surpasser mais chaque nouveau bond, chaque nouvelle esquive, la faisait puiser encore un peu plus dans ses réserves. Ses muscles la brulaient, son corps pesait une tonne et sa respiration était saccadée. Ses mouvements commençaient à perdre de leur efficacité. Plusieurs fois elle trébucha sur des obstacles au sol, la ralentissant et l'exposant aux contre-attaques de ses ennemis.

Avec la fatigue, sa vision commença à se brouiller. Elle n'aperçut pas Hinevara s'écrouler sur le sol. Elle ne remarqua pas non plus l'homme qui armait un couteau de lancer dans sa direction. Elle ressentit, par contre, une grande douleur lorsque l'arme se ficha dans sa cuisse gauche, stoppant sa valse meurtrière.

Handicapée par sa blessure, elle lutta tout de même férocement pour défendre sa vie, mais elle ne put parer le coup de pommeau qu'un adversaire lui asséna sur la tête. Assommée, elle s'effondra. 

L'aventure d'Herenui (version réécrite/en cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant