Chapitre 6 : Premier rendez-vous

1 0 0
                                    

J'accourai dans les rues d'un pas sautillant, dans un sentiment d'excitation que je ne me rappelais pas avoir déjà ressenti avant. Mais malgré mon exaltation, je faisais de mon mieux pour faire preuve de prudence. Tous les amis de ma soeur n'étaient pas partis en vacances, et si je les croisais, la suite des événements ne serait guère agréable. Au bout d'un moment, je finis par arriver à la rue du grand cinéma de la ville. C'est là que je l'aperçus, au loin, se tenant devant les portes principales, attendant ma venue. Me tenant sur le troittoire d'en face, dix bons mètres sous séparaient, mais cela ne me retenait pas pour constater l'état dans lequel il semblait être. Sa façon de tourner frénétiquement la tête pour voir si j'arrivais faisait peu naturelle. Visiblement, le pauvre garçon était anxieux. Je n'en étais pas surprise. Après tout, peut-être réfléchissait-il toujours à une potentielle rupture, prise en main par ses soins. De plus, avoir un rendez-vous galant avec une personne dont on sait nos sentiments inexistants, c'était sûrement fort gênant. Je me précipitai alors sur le passage piéton, et marchai à sa rencontre. Il tourna ses beaux yeux en ma direction, et remarqua enfin ma présence. Il me regardait intensément de ses yeux inquiets. Mon regard perdu dans son propre regard à lui, je me sentis d'un coup bien troublée. Cette façon qu'il eut de me fixer me fit réaliser un détail qui me parût d'une grande importance. "C'est la première fois qu'il fait véritablement attention à moi... C'est la première fois qu'il me regarde."L'épisode où nous nous étions parlés dans le noir me paraissait sans intérêt. Nous ne nous étions même pas regardés dans une telle obscurité. Mais je me resaisissai en me souvenant que je n'étais pas Marion, j'étais Agathe. Et Agathe, Tony l'avait déjà regardée plusieurs fois. Par conséquent, Agathe n'avait aucune raison de se sentir confuse, et devait paraître détendue en présence de son petit copain. Je m'arrêtai devant lui. Me forçai un sourire afin de soulager l'atmosphère. Et le coeur bondissant par le stresse d'une telle entreprise, avec une voix ressemblant à celle de ma soeur je lui dis:"-Hey... Salut!Je continuais de sourire, cherchant le plus possible à rattraper ma réponse, que je trouvais peu naturelle. "Bon sang, Marion... Ce n'est pas digne d'une fille amoureuse, ça!"-Oui, salut... répondit-il, les yeux se mettant soudainement à me fuir, pour sembler s'intéresser aux pigeons. Je commençai déjà à trouver cela drôlement gênant. "Agathe et Tony ne sont pas comme ça tous les jours, tout de même?" -Hum... Comment ça va? tentais-je. Cela fait un moment que l'on ne s'est pas vus! -Baah... oui, fit-il, comme si je venais de sortir le détail le plus évident du monde. Même si je me doutais bien que c'était sa gêne qui l'handicapait pour faire des phrases construites. -Bon! m'exclamai-je, sur le ton le plus enjouée dont je me sentais capable. Tu as prévu quel film on se matterait? Il releva des yeux étonnés en ma direction. J'eus alors peur d'avoir dit une chose qu'il aurait mieux fallu éviter. -C'est drôle comment tu as l'air motivée pour regarder un film! Je ne pensais pas que ça t'intéressait. Tu n'en parles jamais. Je remarquai qu'il faisait cette remarque avec un petit sourire. Sans doute se sentait-il mieux. Cette impression me remit en confiance. -Oh si si, j'adore regarder des films! J'en regarde avec ma soeur, parfois. Mais c'est surtout que j'étais motivée à l'idée d'une sortie avec toi! -Ah, vraiment? C'est sympa... fit-il, les yeux toujours baissés, mais en conservant un petit sourire. -Bon, alors? répétais-je, sur un ton que je souhaitais un peu pressant. Si on est là, c'est pour regarder un film! Voyons voir, qu'est-ce qui vient de sortir..."Je m'approchai des affiches. Un bon nombre de films dits "pour ados" étaient représentés. Toujours ce genre d'histoires bien mièvres avec des hommes mystérieux et des filles très nunuches mais fortes quand même. Si Tony était un jeune bien fabriqué comme le souhaitait la société, c'était ce genre de films qu'il aimerait visionner. Mais le fait était que je détestais ce genre d'oeuvres. Et je me refusais à gaspiller deux heures de ma vie d'une telle manière. Mon regard fut soudainement attiré par le dernier film d'animation des studios Dix-Nez, La Princesse et l'Anguille. "Est-ce que je peux me permettre de lui proposer ce film?"Cela paraissait souvent plutôt gamin de regarder un dessin animé. Est-ce que Tony trouverait cela normal qu'Agathe lui propose d'en mater un? En ce qui me concernait, j'appréciais beaucoup ce genre de films, et je savais qu'il en allait de même pour ma jumelle. Mais osait-elle parler de ces films-là à ses amis? Je n'étais sûre de rien, mais il n'était pas impossible qu'elle préfère cacher l'affection qu'elle entretenait pour ces longs-métrages. "Tu veux regarder ça?"La question de mon camarade me fit sortir brusquement de mes pensées. "-Hein? Euh...-Je demande ça comme ça, parce que tu as le nez collé sur l'affiche de ce dessin animé. -Oh, euh... Tu veux le voir, toi? -Euh... Bah... Je sais pas... C'est un dessin animé... marmonna-t-il. "Tiens... me demandais-je. Il n'y avait pas une note d'espoir, quand il m'a proposé qu'on le regarde?" -Tu sais, il n'y a pas de honte à regarder des films d'animation, lui dis-je. J'en regarde souvent, et ma soeur pareil. -Bah... si tu veux le voir, on y va!"Et afin de provoquer plus aisément la conclusion de la discussion, il marcha précipitamment jusqu'à la porte d'entrée, et je le suivis. "Il mourrait d'envie de voir ce film, ça se voit... C'est dingue qu'il soit aussi peu capable de l'assumer. Un vrai mouton, comme ma soeur."Nous partîmes nous acheter des places, et nous rendîmes à la salle qui nous avait été désignée. Cela ne nous prit pas énormément de temps, et c'était une excellente chose. Je n'étais pas forcément gênée d'attendre dans des longues queues, je n'étais pas d'un tempérament très impatient. Mais en l'occurence, cela m'aurait forcée à avoir des discussions avec Tony pour passer le temps, et j'avais le sentiment qu'il n'était guère motivé à me parler. Une fois rendus dans la salle 23, nous prîmes place. Même une fois assis, aucun mot ne parvinrent à sortir de nos bouches. Je ne savais que dire, et craignais beaucoup que lancer une conversation ne finisse par trahir mon manège. Tony ne semblait pas disposé à discuter, et semblait profondément intéressé par les publicités affichées sur le grand écran. Au bout d'un moment, une question qui continuait de faire place dans mon esprit, me permit de rompre le silence:"-Dis, Tony... C'est marrant comment tu as d'un seul coup changé ta façon d'écrire tout à l'heure, quand on s'est donnés rendez-vous. -Hein? fit-il, surpris de me réentendre parler. Euh... Ben oui, mais... C'est marrant que ce soit toi qui me demandes ça, alors que toi aussi tu t'es d'un coup décidée à bien écrire aujourd'hui. Tu t'y es même mise la première, et je n'ai fait que te répondre de la même manière.-Oui, c'est vrai... M'enfin, je suis bonne en français, il est logique que je me décide à faire des efforts.-C'est drôle que ce soit après avoir été admise en S que tu aies eu une telle illumination. Pour la première fois depuis le début du rencard, il semblait vraiment commencer à se détendre. -Ah, mais justement! Je vais m'éloigner de la littérature maintenant, alors autant que j'en garde quelques traces. Si même mes textos ne sont pas soignés, je n'aurai vraiment plus rien d'une littéraire. Mais toi aussi tu écris bien visiblement, alors pourquoi tu n'écris pas comme ça plus souvent?-Oh si, je le fais souvent... Les textos que j'envoie à mes parents sont toujours bien écrits. C'est quand j'envoie des messages aux autres du lycée que j'utilise le langage SMS. -Mais pourquoi? Pourquoi est-ce qu'on devrait toujours avoir un style d'écriture aussi peu travaillé, sous prétexte qu'on parle à ses potes? -Ben, euh... T'es du genre à te poser des questions comme ça, toi? C'est marrant, je pensais pas, fit-il d'un ton pensif."Sa remarque me provoqua une certaine inquiétude. J'avais effectivement dû aller trop loin dans mes interrogations. Si je continuais ainsi, j'allais vraiment finir par me trahir. De toute manière, la réponse à tout cela m'était devenue claire: Tony répondait par message SMS parce qu'on lui parlait par message SMS. Et si on daignait s'appliquer, il s'appliquait également. Il m'apparaissait encore plus évident que ce beau blondinet ne savait pas avoir sa propre personnalité, et cela me décevait beaucoup. "Mais qu'est-ce que je dis? Il n'y a pas de raison d'être déçue puisque ce n'est pas réellement mon mec. N'empêche... Il ose critiquer Agathe en disant qu'elle est superficielle, mais il ne vaut vraiment pas mieux qu'elle!" Nous ne pûmes pas réentamer la discussion, le film commençant enfin. Nous nous plongeâmes dans l'atmosphère de l'histoire et n'échangêames plus un mot pendant un certain moment. Le film se ponctua rapidement de quelques gags que je trouvais bien amusants, mais je n'entendais pas rire mon camarade. Son humour à lui était peut-être différent. Le film continua et lorsque de nouveaux instants gaguesques firent leur irruption, je lançai alors un discret regard à l'intention de Tony. Je fus alors agréablement surprise en le voyant sourire. Je voyais ses yeux, et les revoyais tels que je les avais perçus lors de notre première rencontre. Ils étaient si pétillants, si enfantins, et le métrage réveillait cet éclat. Il avait l'air véritablement ému, et je me surprenais à trouver cela touchant. Je détournais le regard et me reconcentrai sur le film. Je comprenais que s'il ne riait pas, c'est pour cette façon que l'on peut avoir à être toujours jugé, si l'on rigole facilement devant un film d'animation. Cet humour étant destiné exclusivement aux enfants dans l'inconscient collectif, en rire était comme prouver un rire facile. Parce que s'esclaffer aisément, c'était aussi un problème, selon les jeunes. Je tenais à lui prouver que l'on pouvait bien se permettre d'échapper un rire devant ces films. Et à chaque nouveau gag, je n'hésitais pas à rire de bon coeur, quitte à faire râler la dame à côté de moi. A mon grand plaisir, ce fut suffisamment communicatif et Tony se mit à rire plus facilement. Plus tard, je lui murmurai à l'oreille:"-C'est lui, le méchant. -Quoi? Mais non, le film fait comprendre depuis le début que c'est l'homme à la montre dorée. C'est la description qu'a donné le vieux sage. -Mais le mec dont je te parle a une montre dorée, lui aussi. -Oui, mais... comment on peut être sûrs, alors? Leurs montres sont identiques!-Bien sûr que non, elles sont pas identiques, marmonnais-je d'un ton contrarié. Il y a un symbole bizarre sur la montre du mec qui, c'est évident, est l'antagoniste. Je trouve ça louche. -Mais... comment tu fais pour remarquer ça? Il n'y a pas eu le moindre gros plan sur leurs montres depuis le début du film. -Bah... Je pensais que ça se remarquait... Non?-Chuuuut!" s'agaça notre voisine, mettant un terme à notre débat.Une demi-heure plus tard, le film finit par afficher "The End", après m'avoir donné raison sur l'identité de l'assassin du roi. Tony et moi quittâmes la salle, tout en donnant nos appréciations. Si j'avais apprécié le film, le petit copain de mon personnage l'avait tout bonnement adoré. Alors qu'aucune âme ne semblait habiter ce corps au début du rendez-vous, il semblait désormais plus vivant que jamais, et rien ne parvenait à le faire taire. "... La morale de ce film est vraiment splendide, j'ai adoré! Et puis les chansons, qu'est-ce qu'elles sont belles! Celle que j'ai préféré, c'est Déjantée, Disjonctée. C'est tellement beau de voir l'héroïne s'assumer enfin telle qu'elle est! Et puis, ce méchant... Je ne te comprends pas quand tu dis que ça se voyait trop que c'était lui, il cache tellement bien son jeu! -Tant mieux si t'as trouvé ça bien fait, mais je maintiens que ça se voyait trop. -T'es drôlement observatrice, quand même. Tu m'avais caché ce talent. Je me sentis d'un coup toute troublée, en comprenant qu'il venait de me faire un compliment. -Oh, euh... Oui, je le suis peut-être un peu, c'est pas impossible. -Bon! fit-il sur un ton enthousiaste, qui contrastait totalement avec son humeur d'il y a une heure et demi. Je crois qu'il va être temps que je rentre chez moi. -Oui, et... Je crois que je vais faire de même. Enfin... Je vais pas rentrer chez toi, mais je veux dire que je vais rentrer chez moi. -Oui, ça marche! Allez, salut!"Il approcha son visage du mien. J'eus alors un moment de frayeur, ne sachant comment réagir. Je m'empressai alors de lui faire la bise. Je n'allais quand même pas abuser de la situation au point de le saluer de façon plus romantique. J'eus alors peur de ne pas avoir su représenter l'amour d'Agathe en m'y prenant ainsi, mais quand Tony éloigna son visage, il ne paraissait pas dérangé. Il fit un signe de la main, le visage garni d'un sourire tout innocent, et se retourna pour marcher jusqu'à chez lui. "C'est vrai... Il réfléchit peut-être toujours à la rupture. Ce n'est pas juste avec une sortie au cinéma qu'il va tomber éperdument amoureux de ma soeur. Ma bise a dû le rassurer." Malgré cette pensée plus sombre, mon coeur se sentit gonfler de joie et de fierté. L'opération s'était finalement bien déroulée, et visiblement, Tony commençait à ressentir à nouveau de l'affection pour Agathe. Je repartis alors chez moi, les pieds sautillants, l'esprit concentré sur de beaux yeux bleus s'extasiant devant un dessin animé.

Je suis ma jumelleWaar verhalen tot leven komen. Ontdek het nu