Le sceau du sang

IV - Dans les yeux d'Elsa

 Comment dormir lorsque le lit est vide ? Henri avait lu et relu le mot que Laura lui avait laissé. Elle y exprimait clairement son ras le bol de son implication dans son métier, lui citait les vacances annulées, les repas en famille ou entre amis manqués, les moments à deux bien trop rares. L'argument ultime lui avait fait l'effet d'un coup de poignard en plein cœur : « je ne peux plus envisager de faire un enfant avec toi dans ces conditions. » Henri souhaitait tellement fonder une famille, et Laura le savait très bien. Elle lui avait promis de ne jamais le quitter malgré son travail prenant, qu'elle l'aimait au point de vouloir fonder cette famille avec lui quelques soient les circonstances. Mais voilà que la désillusion le prenait et avec elle le désespoir de voir un jour ses rêves se réaliser et sa vie s'accomplir.

Lorsque son réveil sonna, le commissaire Henri Duval grogna. Il avait peu dormi et mal. Il ouvrit difficilement les yeux pour constater qu'il était toujours vêtu. Sa main gauche tenait fermement le mot de Laura taché des larmes qu'il avait versé des heures durant. En bougeant sa main droite, qui était nonchalamment posée sur la table de nuit, il renversa un verre à moitié plein de whisky. Il se redressa au contact du verre et pesta lorsque ce dernier atteint le sol et renversa son contenu sur la descente de lit, juste avant de percuter une bouteille vide d'où était issu le précieux nectar. Il se remémora rapidement la soirée précédente, il était rentré et s'était servi un verre en guise d'apéritif. En cherchant Laura, il avait trouvé le mot et s'était installé dans le salon pour le lire. Il s'était alors effondré en larmes au fur et à mesure qu'il avançait dans la lecture. Lui qui avait tant rêvé de ce petit être qu'il pourrait cajoler, éduquer, qu'il avait espérer amené à devenir quelqu'un de bien, de meilleur. Et ce petit être, il voulait tellement le concevoir et l'éduquer avec Laura, la seule femme qu'il ait vraiment aimé. Tout ses rêves s'effondraient ce soir, le ton de la lettre était sans appel et laissait sous-entendre que quelqu'un d'autre prenait sa place dans le cœur de sa bien aimée depuis déjà quelque temps. Peut-être avait-elle déjà passé le cap. La conclusion de la lettre ne faisait pas de doute sur la préméditation de la décision : « tu recevras prochainement les documents du divorce. »

Combien de fois avait-il lu la lettre ? Il n'aurait su le dire. La seule chose dont il se souvenait était qu'à chaque relecture il s'était servi et avait bu un verre. Ce matin, il s'apercevait que la bouteille était vide, que son crâne le faisait souffrir et qu'il aurait du mal à être à l'heure dans l'état où il était. Regroupant ses dernières forces, il se leva et se dirigea vers la cuisine pour se faire couler un café. Il se déshabilla tout en faisant le chemin inverse jusqu'à la salle de bain et profita du temps imparti à la « machine à réveiller » pour produire son nectar pour prendre une douche salvatrice. Le geste était machinal mais la fatigue de la mauvaise nuit l'obligeait à se tenir au carrelage mural. Il pencha la tête en avant, laissant couler l'eau sur sa tête et son coup, et, comme si cela avait dénoué quelque chose, il fondit de nouveau en larmes, jusqu'à s'effondrer dans le mètre carré de faïence. Il ne se rendit pas vraiment compte du temps qu'il resta prostré ainsi, suffisamment pour qu'il ne prenne pas le temps de se raser avant de s'habiller négligemment, avaler un café rapidement et, jetant un dernier regard à cet appartement si vide pour la première fois depuis des années, claquer la porte direction le commissariat.

*

* *

Les yeux d'Elsa Mildeni le fixait avec insistance, ses grands yeux verts étaient rempli d'un désir non dissimulé qui aurait rendu fou n'importe quel homme. Mais ce regard n'était pas destiné à n'importe quel homme, il était destiné à Henri Duval. Il lui laissait deviner un déferlement de passion sexuel comme il n'avait pas connu depuis très longtemps, depuis les premiers temps de sa relation avec Laura...