2 - LE NOUVEAU NOM

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Sitôt que le petite groupe fut formé, Dame Aliénor tourna les talons et se mit à marcher promptement, forçant les cinq demoiselles à trottiner derrière elle. Sans ralentir le pas, elle les mena vers une arcade située sur le côté latéral de la salle. Le petit groupe se retrouva dans un long couloir qui semblait longer le flanc du château, et dont le mur gauche était perçé de nombreuses et larges ouvertures donnant sur l'extérieur. Ce ne fut qu'une fois à mi-chemin que leur guide s'immobilisa pour leur adresser la parole.

Brunelle profita de cette courte pause pour la détailler du regard. Dame Alienor était une belle femme qui paraissait se trouver à l'aube de ses trente ans. Grande et sculpturale, elle les dominaient d'une bonne tête chacune. Ses cheveux brillaient d'un blond doré et vif, relevés de façon à ne pas lui tomber sur le visage, et ses deux yeux gris acier brillaient avec force. Elle semblait habituée à donner les ordres et à ne pas se laisser marcher sur les pieds. Elle était vêtue d'une robe bleue nuit taillée dans ce qui semblait être du velours et dont le moindre mouvement de sa part provoquait une danse de la lumière sur le tissu. Le corset soulignait habilement la finesse de sa taille sans avoir l'air de l'étouffer, et les manches longues épousaient parfaitement la forme des bras. Il s'agissait d'un joyau de couture conçu pour embellir la silhouette.

Dame Aliénor s'adressa à ses nouvelles recrues d'une voix claire. Elle ne comptait pas passer par quatre chemins.

— Pour celles d'entre vous qui seraient encore ignorantes quant à ce qu'il vient de se passer, sachez que vous faites désormais partie des Colombes du Roi. Dans toute son infinie bonté, son Altesse vous offre un toit et sa protection. J'ose donc espérer que vous comprenez bien le privilège qui vous est octroyé ici. Pour ma part, je me nomme Dame Aliénor. Tout comme vous, je suis une Colombe et j'ai été nommée tutrice par sa Majesté il y a de cela presque cinq ans. Ma tâche sera de vous inculquer les règles de conduite propres à votre statut et de m'assurer que vous les suivez scrupuleusement au cours de ces premiers mois. Avez-vous des questions?

Les cinq filles échangèrent un regard avant de secouer la tête négativement. Dame Aliénor poursuivit donc sa course, les demoiselles sur ses talons. Tout en se déplaçant, elle expliquait les bases de l'organisation du château à ses nouvelles protégées. Brunelle apprit ainsi que le couloir qu'elles arpentaient actuellement menait à la partie du château réservée aux Colombes, et qu'à l'exception du personnel féminin, du Roi et de quelques rares personnalités, l'accès à cette aile était strictement prohibée.

Si les nouvelles recrues étaient arrivées au château tôt dans la matinée, cela n'empêcha pas la journée de filer comme une traînée de poudre. Elles furent baladées dans tous les sens par Dame Aliénor qui leur présenta les lieux de vie principaux ainsi que leurs appartements. Au soulagement de Brunelle, elles avaient chacune leur propre chambre. On leur expliqua avec soin qu'elles n'avaient pour l'instant de Colombe que le titre, et qu'il allait leur falloir faire preuve de discipline et de patience pour le mériter.

Après cette visite en éclair de l'aile du château qui leur était attribuée, elle furent présentées à une couturière chargée de relever leurs mensurations, laquelle s'éclipsa ensuite telle une ombre sitôt sa tâche achevée. Le reste de la journée, Dame Aliénor les fit assoir dans une salle dédiée à cette effet et s'évertua à leur remplir le crâne des principes propres à leur nouveau rang. D'après leur guide, une bonne Colombe se devait d'être patiente, vertueuse et de bonne compagnie. La vulgarité ou les mauvaises moeurs n'étaient pas tolérées en ces murs, comme elles n'allaient pas tarder à l'apprendre. Lorsque Dame Aliénor commença à leur exposer le règlement, Brunelle se retrouva à écarquiller les yeux et froncer les sourcils plus d'une fois face à la sévérité de celui-ci. Certains des points abordés, comme l'interdiction formelle de sortir du château, étaient simplement abhérants !

Tout cela — le règlement, les belles chambres, le luxe de façade — n'étaient bien entendu que prétextes. Elles étaient désormais enfermées dans une cage dorée avec pour seul destin de servir de décoration. Si la jeune femme ne s'était pas attendu à quelque chose de plus reluisant, cela causait tout de même un coup dur à son orgueil. Elle n'avait nul part ailleurs où aller. En supposant qu'elle parvienne à s'échapper du château, il était inconcevable qu'elle regagne les terres de sa famille, et elle n'avait pas d'argent pour vivre ailleurs. Elle était bel et bien prise au piège. À en juger par les expressions de ses compagnes, elles avaient dû suivre le même train de pensée.

Les propos de Dame Aliénor la tira de ses réflexions.

— Vos origines, vos noms ou encore vos titres passés (elle lança un regard appuyé vers Brunelle qui soutint ce regard sans fléchir) n'ont plus guère de valeur ici. Il vous sera donc demandé de choisir un nouveau prénom et d'abandonner l'ancien.

La tutrice lissa la plume blanche qu'elle tenait entre les mains avant de la tremper dans une encre noire et la caler entre ses doigts. Elle leva la tête vers le petit groupe.

— Je vous écoute.

Quelques secondes de silence s'écoulèrent avant que l'une d'elles ne s'avance enfin, osant parler d'une voix timide. Elle avait une longue chevelure noire qui lui tombait jusqu'aux reins et des traits d'une douceur inouïe. Sa peau mate était témoin d'une existence passée sous le soleil.

— Je souhaiterai prendre le nom Hermine, dit-elle, et Dame Aliénor s'appliqua à noter ce nom, le crissement de la plume contre le papier remplaçant un instant le silence de la salle.

Brunelle souhaitait prendre un nom qui avait une signification pour elle. Pas une appelation vide de sens, quelque chose qu'elle serait fière de porter. Elle fouilla dans ses souvenirs durant quelques instants avant que l'image d'un sourire lumineux et de deux nattes rousses ne surgissent dans sa mémoire. Oui, elle savait quel nom choisir désormais.

Quand son tour fut venu, Dame Aliénor darda ses yeux d'acier sur elle, prête à écrire. Brunelle prit une inspiration.

— Ophélia. Je choisis le nom Ophélia.

La Colombe et le RoiWhere stories live. Discover now