La Colombe et le Roi

5 - LE GRAND BAL (deuxième partie)

Ophélia longeait les murs de la Grande Salle, les mains derrière le dos, une expression détendue sur le visage. Elle avait rarement été en contact avec autant de monde en une seule fois, et pourtant le nombre de personnes qu'il y avait près d'elle ne l'angoissait pas, au contraire. Elle pouvait s'adonner à l'une des activités qu'elle appréciait le plus: observer les gens. Les nobles de la suite du Grand Duc de Petrovitch étaient nombreux, et particulièrement reconnaissables parmi les courtisans de Navarelle. Leurs vêtements étaient plus colorés et leur teint extrêmement pâle. Ils avaient au moins cela en commun avec les natifs de Pandula. Ophélia se rappela avoir lu que l'Empire de Chazov était situé d'avantage dans l'hémisphère nord.

Elle en était à ce stade de ses réflexions quand un homme se présenta à elle, arrêtant net sa progression. Elle darda un regard surpris et songeur vers lui, ne pouvant s'empêcher de le détailler de la tête aux pieds, le plus discrètement possible bien entendu.

‹‹ Mademoiselle, pardonnez-moi si je vous importune, s'excusa t-il poliment. Je vous observe depuis quelques minutes et je n'ai pu résister à l'envie de venir à votre rencontre. ››

Il s'exprimait avec un accent grave et guttural, mais Ophélia n'eut aucune difficulté à le comprendre. Il maîtrisait parfaitement la langue et parlait avec courtoisie. La Colombe se fendit donc d'un sourire, ce qui encouragea l'inconnu à poursuivre.

- J'en oublie mes manières, observa t-il après quelques secondes, comme si le sourire d'Ophélia l'avait déconcerté. Je m'appelle Nikolaï Vasiliev, et je suis le neveu du Velikii Kniaz Petrovitch.

- Ravie de faire votre connaissance, monsieur. Je suis Dame Ophélia, Colombe de sa Majesté Haemon de Worthshine.

Elle se demanda si elle avait le droit de se présenter officiellement comme une Colombe, mais il était trop tard pour se corriger.

- Dame Ophélia... M'accorderez-vous cette danse? Une demoiselle telle que vous ne devrait pas rester seule à rêver près de ces murs.

Ophélia eut envie de lui répondre qu'elle aimait particulièrement rêver dans son coin sans qu'on ne la dérange, mais elle se retint. Aussi, elle se contenta d'un hochement de tête et d'un sourire engageant. Toutes ces manières lui donnaient l'impression d'être une potiche, ce qui commençait à lui déplaire.

Elle saisit la main que lui tendait Nikolaï et se laissa guider jusqu'au coeur de la salle pour rejoindre le flot des danseurs. Le jeune homme posa ensuite une main sur sa taille, l'autre tenant sa propre main avec fermeté, et ils commencèrent à se mouvoir au rythme de la musique. Danser était la seule vraie difficulté d'Ophélia. Il lui fallait beaucoup d'efforts pour ne pas marcher sur les pieds de ses partenaires — quelque chose qu'Hermine n'avait pas tardé à apprendre lorsqu'elles s'étaient entraînées ensemble. Même si elle s'était considérablement améliorée depuis, elle continuait à compter le rythme de la musique dans sa tête et à résister à l'envie de regarder ses chaussures.

Toutefois, ce dernier point ne semblait pas vital à Nikolaï, et Ophélia remarqua désagréablement que ses yeux avaient un peu trop tendance à voler du côté de sa gorge. Elle serra les dents, tâchant d'en faire abstraction pour ne pas déclencher un éventuel incident diplomatique.

- Êtes-vous originaire de Navarelle? lui demanda le jeune homme en la regardant enfin dans les yeux.

- Non, j'ai vu le jour à Pandula. Cela fait seulement trois mois que je me trouve au château.

Le jeune homme opina.

- J'ai visité Pandula il y a quelques mois. Très belle région. Elle me rappelle mon pays natal en bien plus froid, je dois en convenir.