4 - LE GRAND BAL (première partie)

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22 Thermidor de l'An MCLXXXII

Plus de trois mois s'étaient écoulés depuis l'arrivée des nouvelles Colombes au Château de Navarelle. Une vague d'impatience se répandait petit-à-petit parmi elles, s'installant dans leur coeur et se trahissant dans le moindre de leurs gestes. Elles étaient lasses de demeurer cloîtrées entre les murs de l'aile des Colombes. La tentation de s'aventurer dans les autres parties du château ne faisait que croître au fil des jours et apercevoir les jardins du palais depuis les fenêtres de leurs chambres, plus colorés et parfumés que jamais sous le ciel d'été, semblait une véritable provocation.

Comme tous les matins, Ophélia émergea de ses rêves aux aurores. L'aide de Dame Aliénor pour la réveiller était désormais superflue, et après s'être habillée avec l'aide de Line, sa femme de chambre (d'après le règlement, elles n'avaient pas l'autorisation de parler au personnel mais Ophélia n'en avait cure), la jeune femme gagna la salle commune des Colombes.

À cette heure matinale, la plupart étaient encore en train de se réveiller et elle pu ainsi petit-déjeuner en paix. Que demander de mieux? Les bavardages incessants de ses camarades dès les premières heures du jour l'agaçaient parfois. Elle se rendit ensuite dans la pièce où venaient d'habitude les trouver leurs précepteurs, prête à tuer le temps avec un bon ouvrage en attendant l'heure de leur leçon.

Bientôt, elle retrouva la compagnie de ses quatre autres camarades: Hermine, Clervie, Marguerite et Angélique. Ophélia n'avait jamais vraiment eu le temps ou l'occasion d'échanger avec cette dernière. Elle avait tout-de-même entendu de la bouche de Clervie qu'Angélique avait vu le jour dans la région d'Argo, au sein d'une famille de la haute bourgeoisie. Son père possédait de nombreux vaisseaux qui échangeaient avec divers royaumes et s'était fait un nom pour avoir bâti un véritable empire commercial  en partant de peu.

Angélique était comme la majorité des jeunes Colombes d'une grande beauté, mais ô combien différente de celle d'Hermine. Elle était belle et glaciale comme un iceberg. Ses cheveux d'un blond divin d'une grande pureté capturait la lumière et l'on se perdait volontiers dans le bleu de ses yeux ou la courbe sensuelle de ses lèvres. Toutefois, Ophélia ne pouvait s'empêcher de se méfier d'elle, refusant de se laisser enjôler par ses sourires mielleux ou ses oeillades charmeuses. Après tout, ne disait-on pas que toute rose avait ses épines?

Les Colombes échangèrent quelques mots sur le temps, se mettant au vent des dernières nouvelles apprises de la bouche  des anciennes, lorsque la porte s'ouvrit en interrompant leur discussion. À la surprise générale, ce ne fut non pas un précepteur mais bel et bien Dame Aliénor qui fit son entrée, impeccablement apprêtée comme toujours.

Elle ignora les regards abasourdis et adressa un sourire sincère à ses cinq protégés. Cela ne fit qu'accentuer le sentiment d'étonnement dans la pièce. Un sourire de la part de Dame Aliénor était comme une tombée de neige en plein été: rare. Elle ne les sermonna même pas sur le fait qu'elles ne s'étaient pas levées pour la saluer dignement.

‹‹ Je suis porteuse d'une nouvelle qui, je le pense, saura vous réjouir, annonça la tutrice. ››

Ces quelques mots suffirent à accaparer entièrement l'attention des jeunes femmes.

- Nous avons longuement discuté avec Dame Isobel, poursuivit-elle, et nous estimons que ces longs jours passés à vous préparer se sont montrés efficaces. De ce fait, je suis confiante quand j'affirme que dès ce soir, vos consoeurs ne se réfèreront plus à vous comme les "nouvelles", mais bel et bien comme l'une des leurs.

Si tous ces mois passés à voir et revoir la façon de se tenir en société n'avaient pas portés leurs fruits, les cinq Colombes auraient certainement bombardé Dame Aliénor de mille et une question, exprimant leur joie et leur excitation de toutes les façons possibles. Toutefois, elles avaient été attentives, et même si la curiosité les dévoraient comme un brasier, elles parvinrent à demeurer calme. Intérieurement, c'était une toute autre histoire.

La Colombe et le RoiDonde viven las historias. Descúbrelo ahora