1 - REMARQUÉES PAR LE ROI

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17 Floréal de l'An MCLXXXII

Il s'agissait d'une bien étrange prossession que cette longue file de jeunes femmes, certaines encore à l'aube de l'adolescence, alignées sagement les unes derrières les autres et le regard pensif. Elles étaient silencieuses et calmes, mais leurs postures ne trompaient personne: leurs coeurs étaient en proie à bien des tourments.

Parmi toutes ces jeunes filles à la même robe austère et aux traits fatigués, une demoiselle tournait la tête dans toutes les directions. Là où ses camarades fixaient timidement le même point devant elles, ses yeux bleu de nuit se promenaient sur ce lieu écrasant qui l'entourait. Ils étaient grand ouverte, comme pour mieux absorber la magnificence et le prestige du château. Son regard courait ainsi le long des murs, des arabesques et des reliefs graciles, jusqu'au plafond se dressant à des mètres et des mètres au-dessus de sa tête à la manière de la plus belle des cathédrales, poussé par de solides colonnes de pierre. Elle admirait les arc-boutants, les arcades, les rosaces, les vitraux d'une finesse exquise, toutes ces prouesses d'architecture dont elle avait entendu parler dès l'enfance sans avoir pu les contempler jusqu'à ce jour.

Il lui était difficile de croire qu'elle se trouvait au Château de Navarelle. Après un mois de voyage, c'était un soulagement d'être enfin arrivée, bien qu'elle sû au fond que ses camarades et elle étaient encore bien loin du bout de leurs peines. Pour l'heure toutefois, la jeune femme souhaitait remplir sa mémoire du spectacle fantastique dont elle était témoin. Si elle devait faire partie des rejetées, ce serait au moins avec de beaux souvenirs.

L'écho d'un grincement rebondissant sur les murs de pierre lui parvint, indiquant qu'à plusieurs mètres de là, une porte avait dû s'ouvrir. Elle ne s'était pas trompée, et une trentaine de secondes plus tard, elle dépassait deux portes de bois massives mesurant au moins deux fois sa taille.

La salle qui se trouvait au-delà remettait en question la définition du terme imposant. Ce dernier semblait un bien faible adjectif pour décrire le sentiment d'écrasante monumentalité qui s'exerçait sur celui qui s'y aventurait pour la première fois. La jeune femme en avait presque le tourni. Elle suivit le mouvement de ses congénères face à elle et la longue file s'aligna contre le mur avant de s'immobiliser tout-à-fait. La curieuse put ainsi admirer l'endroit tout son saoûl. À l'extrêmité de la salle, sur ce qui se trouvait être à la gauche de la jeune femme, elle ne tarda pas à reconnaître les draperies de velours carmin du dais royal. Elle réalisa tout-à-coup qu'elles se trouvaient dans la Salle du Trône du château, mais surtout, que l'homme installé là dans une posture de détachement nonchalant n'était autre qu'Haemon de Worthshine. Souverain du royaume, descendant du légendaire Salamon et maître de leurs vies.

La curiosité se mêla désormais à une certaine appréhension, doublée d'impatience. Ainsi, elles allaient vraiment rencontrer le souverain? À sa grande déception, elle fut incapable de discerner ses traits tant la distance qui les séparaient était grande. L'homme au loin finit par se lever et se rapprocher du début de la rangée, se soustrayant ainsi au regard scrutateur de la petite curieuse.

L'importance de la situation la frappe tout-à-fait au fil des secondes. Sa Majestée était en train de faire son choix. D'ici une vingtaine de minutes, le nom de quelques rares chanceuses allait être prononcé, et les autres tristes candidates, contraintes de quitter le palais. La jeune fille fut prise d'une courte bouffée de panique à cette perspective, mais elle se ressaisit promptement. Non, elle  avait tenu tout le voyage sans se laisser gagner par l'émotion, il était hors de question qu'elle flanche au moment le plus crucial ! Elle fit l'effort de respirer lentement, écoutant l'air entrer et sortir de ses poumons à un rythme régulier, et ce simple geste lui fit regagner son sang-froid. Cela ne fut pas le cas de sa plupart de ses camarades qui, plus émotives, s'étaient mises à pleurer. La jeune femme ne put s'empêcher de lancer un regard chargé de compassion vers sa voisine qui sanglotait doucement.

La Colombe et le RoiWhere stories live. Discover now