21 - S'envoler

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Aujourd'hui, nous nous rendons à Dublin, en Irlande. N'étant jamais sorti du Royaume-Uni, je me faisais une joie de monter dans cet avion et de décoller. Une heure et quart. C'est le temps de vol et je trouve ça parfait pour un baptême de l'air. Pas trop long si je paniquais.

Après que le steward a vérifié mon billet, j'ai eu une mauvaise impression. Je l'ai mise sur le compte de l'appréhension, mais en avançant jusqu'à ma place, j'ai compris que ce n'est pas la peur de voler que j'avais pressentie. C'était le gamin. Nous devons être plusieurs centaines de passagers dans cet avion et à côté de qui je me retrouve ? Le gamin ! Je ne sais pas comment ni pourquoi, mais il l'a fait exprès. J'en suis persuadé.

Ça fait donc plusieurs dizaines de minutes que nous avons décollé et il ne m'a pas adressé une seule fois la parole. Ce qui me convient parfaitement. Je n'ai rien à lui raconter et je n'ai surtout rien à lui dire à propos du baiser que je lui ai donné hier. C'était une stupide folie qui doit rester derrière nous.

Je reprends ma lecture tandis que ma playlist se joue dans mon casque. Je tourne une page de mon livre quand la cuisse du gamin se colle contre la mienne. Je baisse mon bouquin et regarde nos jambes jointes. Je bloque dessus un moment avant de lui jeter un coup d'oeil.

Les manches de sa chemise en jean retroussées sur ses bras et la tête basculée en arrière, il semble dormir à poings fermés. Il a les traits du visage détendus, fins, doux, purs... Si je ne le connaissais pas, j'aurais presque pu le confondre avec un ange. Je déglutis, troublé par cette vision.

Ma main passe sur mes lèvres et soudain, j'ai l'impression que le pilote s'est amusé à monter la température de l'avion. J'ouvre mon gilet et referme mon livre sans prendre la peine de marquer la page. À quoi bon ? Je n'ai rien compris à ce que j'ai lu depuis que je me suis assis à côté du gamin.

Malgré moi, je rapproche un peu ma jambe, pour que nos pieds se touchent aussi et un frisson me parcourt. Je suis stupide, c'est une évidence, mais je ne peux pas faire autrement. Il semble si pur... si innocent... J'ai juste envie de le pervertir.

Mes yeux s'agrandissent à mes propres pensées. Je détourne le regard. Je ne suis qu'un putain d'obsédé en fait. Je secoue la tête pour me remettre l'esprit en ordre puis tapote un peu mon livre sur ma cuisse, stressé. J'observe autour de moi. Cody et Yasmine discutent joyeusement. Enzo et Tedy dorment l'un contre l'autre. À ma droite, le batteur de la première partie bouge les doigts en rythme avec une musique imaginaire.

Mais c'est plus fort que moi. Je reporte mon attention sur le gamin et je suis étonné de le trouver éveillé, un sourire aux lèvres. Il l'a fait exprès, cet abruti. Je me passe une main sur le visage pour effacer le goût amer de la supercherie et écarte ma jambe de la sienne.

Je l'entends ricaner avant que le steward recule son chariot à côté de nous. Une fois mon casque retiré, je lui demande un soda qu'il me donne aussitôt. Il se tourne vers le gamin à côté de moi et tout en ouvrant ma canette, je remarque que son regard change. Je me fige alors que mon estomac fait un truc bizarre.

— Shawn ? Shawn Wilson ? De Particular Taste ?

Cette fois, ma mâchoire se bloque et je foudroie bien malgré moi le steward. Il se fout de nous. Il fait le surpris alors qu'il savait avant même que nous arrivions à l'aéroport qui se trouvait sur ce vol. Il mériterait presque un oscar pour son fabuleux jeu d'acteur.

Je renifle et l'observe. Il est trop grand, trop musclé et son sourire n'a rien d'agréable, mais surtout je n'aime pas la manière qu'il a de regarder Shawn, comme s'il était un morceau de viande de luxe. Il ne me plaît pas. Mais alors pas du tout.

— Ouais, se contente de dire doucement le chanteur.

— J'adore ce que vous faites ! insiste le steward en se penchant pour se rapprocher de lui, comme si je n'étais pas entre eux.

— C'est... C'est gentil.

Je jette un rapide coup d'œil au gamin qui semble mal à l'aise, pas encore habitué à être reconnu et ses joues toutes rouges m'attendrissent. J'esquisse un sourire avant qu'un bras ne passe devant mon champ de vision pour aller toucher celui de Shawn. Je me redresse, sur la défensive malgré moi. Je grince des dents quand il s'exclame :

— Oh ! ton tatouage est fantastique !

OK, il passe comme ça au tutoiement le mec. Il ne se sent plus. Puis finalement, mon esprit comprend ce qu'il a dit. Mon regard glisse vers le bras que le steward vient de tourner et j'aperçois un tatouage. Ça me surprend parce que je n'imaginais pas le gamin avec ce genre de chose sur sa peau lisse.

Je plisse les yeux pour mieux visualiser la guitare qui s'étend, magnifique, à l'intérieur de l'avant-bras. Elle est sublime. Je me retiens pour ne pas lui en faire la remarque et me tends sur mon siège quand l'inconnu commence à caresser l'instrument du bout des doigts.

Non, mais vas-y, ne te gêne pas, j'ai envie de lui hurler, mais encore une fois, je me tais.

— Et tu n'as pas encore vu mon second tatouage, lâche le gamin.

Je suis sur le point de m'étouffer avec ma propre salive à l'écoute de cette réponse stupide et déplacée. Ouais, déplacée, c'est le mot ! Depuis quand il se laisse draguer par des mecs ? Mais surtout depuis quand il drague des mecs, lui ?

Ma respiration se fait plus lourde, plus compliquée alors je prends ma canette et la vide à moitié tout en essayant de faire abstraction de la parade nuptiale qui se joue sous mes yeux. Mais quand le steward commence à se pencher encore plus, je repose ma boisson sur ma tablette, plus brutalement que nécessaire et lui dis sèchement :

— Je crois que vos passagers sont en train de mourir de soif.

Il me regarde comme s'il venait de se rendre compte de ma présence ici et s'il ne part tout de suite, je vais me faire un plaisir de lui laisser un petit souvenir de notre rencontre, juste dans les bijoux de famille. Il lance un sourire à Shawn, se redresse et reprend son travail.

Je grogne en suivant le moindre geste de ce steward. Il sert les passagers de l'autre côté de l'allée puis recule avec son chariot. Malgré moi, mon corps se détend un peu à cet éloignement. Je me sens mieux, mais je ne devrais pas. Ça n'a aucun sens. Je secoue la tête et reprends mon livre.

— Tu nous as fait quoi là, papy ?

Je renifle pour bien lui montrer mon dédain envers lui et continue de chercher ma page. Je ne sais pas ce qui m'indique en premier que Shawn s'approche de moi... Le bruit de son corps bougeant contre le siège... Sa chaleur qui se fait omniprésente, m'enveloppant en quelques microsecondes... Son odeur que je découvre... Son souffle juste sous mon oreille... Ou alors sa voix basse que moi seul peux entendre :

— Il était vraiment trop canon, ce steward. Tu trouves pas ?

Sans prendre la peine de lui répondre ou même le regarder, je lâche mon livre et avant que je remette mon casque, le rire de du gamin me parvient.

Fool For You - BLT 3Onde histórias criam vida. Descubra agora