Time Lost

Chapitre 3

Je crois bien que je vais devoir aller m'acheter des vêtements, parce que le dressing qui est relié à ma chambre est dix fois trop grand, et ce que j'ai pris avec moi rempli à peine le quart de l'espace disponible. Je n'ai jamais vraiment fait attention à ma garde robe, surtout les derniers mois, mais juste de voir ces cintres et ces étagères vides, ça me donne envie d'arranger un peu le coup... De plus, il faut que j'aille chercher mon uniforme et mes habits de cours pour l'année. Et mes livres.

Je grimace d'avance.

J'ai l'impression que depuis que je suis arrivée sur ce continent, ma vie entière se résume à un énorme cliché, et rien qu'en y pensant, ça me fait frissonner.
Fille paumée, déboule aux States, se retrouve dans un palace, avec une mère quasi millionnaire vivant dans le quartier de Bel Air, et possèdant par dessus le marché une Porsche.

Un bon début de film hollywoodien, n'est-ce pas?

Mère, que bien entendu la fille ne connaît pas, et qui en l'espace de cinq secondes a d'ores et déjà revêtu le masque de la « méchante-sorcière-qui-s'en-fiche-de-sa-progéniture ».
Et comme on pourra s'y attendre, cette même fille va rencontrer un garçon musclé, beau et attentionné, pour finir ses études avec lui, et apprendre la vie par l'intermédiaire de son meilleur ami gay et bla-bla-bla.

En gros. Sauf que ça n'est pas moi ça. Je ne suis pas comme ça.

Je n'ai pas de meilleur ami gay, ni de vie parfaite toute tracée, loin de là. Ma vie sentimentale est au point mort depuis longtemps. Et Je n'ai jamais demandé de vivre dans une villa moderne de je ne sais combien mètres carrés au 833 Road Stradella.

Je soupire et m'empare de mes chaussures fétiches, des Vans noires, pour aller dehors. En plein mois de septembre, à 22h30, il fait encore bon et beau à Los Angeles, et se priver de sortir serait un crime. Surtout lorsque le décalage horaire fait son effet sur l'organisme.

Je sors de ma chambre en faisant mon possible pour ne pas claquer la porte, et regarde autour de moi. J'hausse un sourcil en voyant le paysage qui s'offre à mes yeux, derrière la baie vitrée de l'étage qui se situe devant ma chambre. C'est sûr que comparé à la vue sur la rue des Francs Bourgeois de Paris, c'est autre chose : la végétation s'étend sur plusieurs dizaines de kilomètres, sur des collines où sont éparpillées différentes villas de milliardaire - à en juger les piscines extérieures -, pour laisser apercevoir au fond, derrière les buildings du centre ville qui semblent miniatures, les tous derniers reflets du soleil sur l'Océan. J'ouvre la baie et fais quelque pas sur la terrasse, humant l'air tiède de la soirée, mes yeux toujours rivés à l'horizon.

Mais je soupire, de nouveau. Je me serai bien contentée d'un simple appartement dans le centre de Los Angeles, vraiment. Je n'ai jamais aimé le côté... extravaguant des choses. Et là, lorsque je regarde les reflets miroitants de la piscine et les transat beiges rembourrés regroupés autour, je ne peux m'empêcher de me dire que c'est beaucoup. Beaucoup trop que ce que j'aurai pu imaginer.

J'ai conscience que je me la joue rabat-joie et difficile. Mais je n'ai rien demandé ! Quand je pense à toutes ses années où mon père se demandait si sa femme vivait bien, si elle était heureuse... Un excès de colère me prend subitement. En réalité elle vivait bien au chaud dans son immense maison, à se la couler douce alors que son...mari faisait des dépressions à cause d'elle, et que ses enfants en faisaient des cauchemars la nuit ! Je serre des poings. Et maintenant qu'ils ne sont plus là...

Je me mords la langue violemment. Ce n'est pas le moment.

Ça n'est jamais le moment.

Je m'approche du bord de la terrasse et m'accoude dessus en inspirant profondément. Ce n'est que le début de mon... « séjour », et je ne fais déjà que tout critiquer. Vraiment, j'ai hâte de voir ce que ça va donner lorsque je vais aller en cours lundi! Je sens que ça va être mémorable...
Brusquement, Je me demande ce que fait Paul en ce moment. Est-il réveillé? Est il en cours? Ou est-il déjà parti au...