Prologue

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Je descendais l'allée d'un pas trainant tandis que l'angoisse nouait ses griffes acérées sur mon être. La foule tout autour semblait infinie ; tant et si bien qu'aucune silhouette ne se distinguait vraiment de la masse. Ça et là, je discernais toutefois quelques formes approximatives qui me faisaient vaguement penser à une vieille tante. Comme cette espèce de haut-de-forme affreux sur le côté gauche qui ne pouvait appartenir qu'à Claudie.

Le secret d'une santé mentale préservée reposait sur ces détails insignifiants. Me concentrer sur les spectateurs présents et leurs goûts vestimentaires horribles permettait à mon esprit de fuir une réalité dérangeante. Cette réalité qui me terrifiait et me nouait le ventre. C'était viscéral, bien plus fort que ma capacité à raisonner. Elle régnait d'une main de maitre sur mon cœur, empêchant le bon fonctionnement de mes organes. Pourtant, Dieu savait que mon palpitant battait. Ses battements étaient compulsifs. Anarchiques. Tant et si bien que j'aurais pu craindre de succomber à une crise cardiaque si le présent n'était pas davantage plus effrayant.

Ç'aurait dû être le plus beau jour de ma vie mais ça ne l'était pas. Rien ne le serait plus vraiment, désormais.

Un haut le cœur me brisa de l'intérieur mais je pris sur moi de le camoufler. Mon corps se révoltait furieusement. Les nausées allaient et venaient, destinées à me punir pour ce choix que j'avais fait. Pourtant je me résignai corps et âme à cette finalité. Au moment même où j'avais accepté de m'engager sur cette voie, je m'étais résolue. Il fallait croire que corps et esprit n'étaient guère en adéquation.

Durant un instant, je ne pus plus ni voir ni entendre. L'enveloppe qui me composait semblait ne plus m'appartenir. C'était comme si j'évoluais machinalement, sans que mon cerveau ne commande plus aucuns de mes membres. Alors une unique larme roula le long de ma joue, symbole de ma révolte inconsciente. Je sentis à peine le bout de l'index qui l'essuya tendrement, aussi léger qu'une brise. Pas plus que la douce pression d'une main qui tentait de me consoler. En vain.

Je me sentais monstrueuse. J'étais monstrueuse ! Un monstre apprêté d'une robe somptueuse.

L'autel devant lequel mon corps s'arrêta était majestueux. Du moins je l'imaginais. Parce qu'à travers la brume dans laquelle j'évoluais, les détails se brouillaient, m'offrant un résultat confus. Je pouvais cependant imaginer la dentelle blanche apposée dessus pour l'avoir sélectionnée moi-même, tout comme je pouvais deviner la composition florale à sa délicate odeur de jasmin. Les effluves parvenaient à mes narines avec une pointe d'amertume – peut-être était-ce seulement la mienne, cela dit. Du jasmin. Là où de nombreux couples choisissaient des roses, symbole d'amour et de passion, ou des lys, emblème de pureté, j'avais préféré l'opulence du jasmin. Son allure passe-partout m'avait séduite.

Un raclement de gorge précéda un déferlement de désapprobations. Je relevai la tête et me confrontai à la situation. Tout autour, des yeux me dévisageaient. Que me voulaient-ils, déjà ? Je scrutais à mon tour les visages mécontents en quête d'indices. Ils semblaient suspendus à mes lèvres, comme si ce putain de Graal allait subitement en sortir. Nous y étions. Le moment fugace qu'un millier de mères vendait à leurs fillettes dès le plus jeune âge m'arrivait. Et plutôt que d'être submergée par l'euphorie, j'étais rongée par l'acidité.

On promettait aux jeunes filles un prince sur son fidèle destrier, un amour unique et éternel. Mon cœur, lui, semblait avoir créé ses propres règles du jeu. Il avait eu le malheur de flancher pour sa mauvaise moitié.

Allez, vas-y. Tu peux le faire.

Trois mots, ça n'avait rien de compliqué. Si je parvenais à avaler le ressentiment qui obstruait mon larynx, je réussirai à les prononcer.

Mariage en satin noirNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ