Chapitre six (2)

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Dans les couloirs, le personnel me jetait des regards accusateurs auxquels je répondais avec mépris. Parfois, je levais même un doigt à leur intention, mais le vague élan de satisfaction qui s'en suivait durait si peu de temps que je rangeais sagement les mains dans mes poches et économisait mon énergie.

J'errais de longues minutes à travers les différents services de l'hôpital sans savoir que faire quand, au-dessus d'une porte, un symbole religieux attira mon regard. Une chapelle. Je n'y étais guère entrée depuis que ma foi s'était vue reléguée au second plan. Depuis le décès de mon père.

Petite, il lui arrivait de profiter de ses passe-droits et de venir me récupérer à l'école pour faire l'école buissonnière. Nous partions en vadrouille ensemble, visitant des lieux encore inexplorés en quête d'aventures. Dès qu'une église apparaissait nous allions y déposer un cierge. C'était notre routine. Notre truc à nous. Je ne savais toujours pas aujourd'hui s'il y avait eu une raison à ces escapades, mais le retour de bâton me frappait à cet instant. Voilà ce dont j'avais besoin.

À l'intérieur, le décor semblait rudimentaire. Une large croix, quelques bancs alignés et un bénitier. Rien de transcendant à première vue. Pourtant la colère s'amoindrit dès le seuil franchit et je plongeais dans un état semi-léthargique.

Assise seule dans cet univers hors du temps, je songeais à Hélène. Plus d'époux pour la veiller, pas une amie pour la cajoler... seulement moi dans le rôle de l'usurpatrice. Mon père était décédé par ma faute et j'avais volontairement écarté ma mère du reste de ma vie.

Comme si l'endroit poussait à la confession, mes états d'âme me rattrapèrent et ma mère me manqua subitement. Depuis qu'Hélène gisait dans ce qui serait son dernier lit, j'avais affaire à une totale inconnue. Mes faits et gestes, mes larmes, mes cris, toute cette mélancolie, cette émotivité, rien de tout cela ne me correspondait.

Quand une voix lointaine et terriblement familière résonna près de mon oreille, je crus mourir de tristesse.

― C'est moi, répondis-je.

― Charlotte ?

Sa voix me renvoya des années en arrière.

Je nous revoyais, mon père, ma mère et moi, assis les uns contre les autres dans cet infâme canapé bleu, riants ensemble autour d'un repas désastreux ou cuisinant de terribles cookies. Chacun de ces moments avait été ponctué du rire aimant de ma mère. J'aimais à le croire en tout cas, car bientôt, ils furent relégués à un sombre passé, déclassés par la mémoire subjective d'un enfant. De ces instants ponctués de tendresse ne restait que l'amère culpabilité d'observer ce cercueil descendre sous terre.

Mon père nous avait abandonné.

De trois, nous étions passé à deux. De deux, nous sommes redevenus trois.

Le deuil.

Le deuil avait posé ses valises dans notre foyer. Cet être immonde et omniprésent occupait chacune de nos pensées. Partout où nous allions et quoique nous fassions, le deuil nous poursuivait. Il détournait habilement nos pensées du chemin de la guérison. Au lieu d'avancer nous reculions. Au lieu de nous aimer, nous nous éloignions.

― Charlotte, tu es là ?

Des années après, sa voix ne transpirait plus la même douleur. Cette voix-là paraissait surprise.

― Oui. Oui, je suis là. Désolée de te déranger, je voulais juste...

― Mais non, tu ne me déranges pas ! je suis si heureuse que tu m'appelles.

Sa tendresse sans équivoque me submergea et la boule reparut dans le creux de ma gorge. Tant d'attention me gênerait en d'autres circonstances, mais ici, dans cette chapelle hospitalière, elle fit céder le barrage et les flots se déversèrent à nouveau.

Mariage en satin noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant