Chapitre huit

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Parfois, la rancœur me poussait jusqu'à maudire Hélène pour m'infliger de tels tourments. Mais bien évidemment, la harpie ne se rendait plus compte de rien. Elle continuait de reposer, sa silhouette gracile fièrement exposée ; me laissant endurer l'amer avant-gout de ce que serait son dernier linceul.

Ma mère tenta de me contacter à différentes reprises ; Romane aussi. Il y eu même un appel ou deux de Cam mais tous restèrent sans réponse.

Je n'arrivais plus à faire semblant. Rien ne valait plus la peine que je me force à entretenir ces relations.

Quand l'amertume menaçait de me submerger complètement, je m'accordais une pause et encombrais mes poumons de fumée. Mais comme lors de ce premier soir, le tabac s'évaporait sans jamais m'offrir l'apaisement désiré.

Fallait dire que depuis mon plus jeune âge, j'étais demeurée captive de la mélancolie : vaguement joyeuse, fatalement déprimée. Détonnant combo que voici. Si d'aventure je parvenais à réfréner ces émotions absurdes, l'altération de l'état général d'Hélène permis de les exacerber. Les sombres pensées m'assaillaient alors et érigeaient un mur pour me contenir en leur sein.

Ce fut là, camouflée dans la pénombre et le corps tremblant d'une rage mal contenue, que je le vis.

Le regard fier et assuré, il trônait devant le sas des urgences, prenant de haut tous ceux qui le croisait. Les cruches en blouse blanche gloussaient, cherchant désespérément à attirer son attention, mais aucune ne fut épargnée par sa froideur intemporelle.

La force tranquille qui émanait de lui intriguait clairement. Personne ne méritait qu'il s'arrête sur lui mais chacun voulait qu'il lui accorde un regard.

Même sans uniforme, le pompier en imposait.

Il ne dévia pas de sa trajectoire pendant de longs instants, si bien qu'il salua à peine quelques collègues en intervention. Rien ne vint troubler son attente. Il continua de contempler avec attention les allers-retours des étrangers, comme inquiet de rater une seconde du spectacle se déroulant à ses pieds.

Je me souvins rapidement du sentiment de plénitude que sa compagnie avait fait naitre la dernière fois et la colère resurgit. Plus forte, plus vive. Ce que cet homme m'inspirait dépassait toute rationalité. J'étais aigrie et pleine de ressentiment, non pas mielleuse et languissante.

Mettant un terme à ces élucubrations nocturnes, je quittai l'obscurité et rentrai me morfondre.

La même scène se répéta le lendemain puis le surlendemain. A chaque fois que je m'octroyais une pause, je le voyais. Il restait là, en retrait – presque prostré, éludant les différentes approches des femmes.

Le quatrième soir il changea ses habitudes en débarquant en tenue de feu.

De la suie recouvrait son casque d'intervention, vestige d'un combat déloyal entre l'homme et les flammes. Au lieu de camper debout comme à son habitude, il préféra s'avachir sur un banc. Ainsi installé, les épaules voutées et la tête tombant entre les cuisses, le géant paraissait vulnérable. Ce fut peut-être ce qui me poussa à prendre place à ses côtés.

Il ne releva pas la tête et je ne dis mot.

Lorsque je me trouvais seule avec moi-même, ma conscience se débattait contre les pensées morbides. Elle tentait de contrer ces élans de noirceur qui m'habitait pour glaner un peu de la bonté tant espérée. C'était ce que voulait le commun des mortels : être bon et aider son prochain. Mon métier contenait la part d'humanité dont j'étais dénuée, voilà comment je m'en sortais la plupart du temps.

Pourtant, en présence du géant, la culpabilité que je ressentais refluait lentement. Mes pensées les plus obscures paraissaient soudain plus acceptables, comme si la propre froideur qu'il dégageait m'absolvait de mes pêchés.

Mariage en satin noirWhere stories live. Discover now