Chapitre cinq

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Je me souvins qu'à une époque, mes amis et moi espérions parvenir à endiguer les effets d'une cuite un lendemain de soirée. Il fallait dire que nos fêtes estudiantines nous donnaient matière à s'entrainer plusieurs fois par semaine. Mais si nous repoussions inlassablement les limites, nos organismes, eux, ne suivaient jamais la cadence.

Eh bien à vingt-cinq ans, ces manifestations clandestines empiraient indubitablement.

J'attrapai machinalement mes lunettes cache-misère et tanguai lentement en direction du canapé. Ah ! jeunesse décadente qui se levait à midi un jour de semaine ; Cam serait furieux de constater cela.

À l'époque où il vivait encore ici, ces comportements avaient tendance à le tracasser. Je me souvins d'ailleurs d'une soirée durant laquelle sa mère organisait un gala caritatif ; le prototype de la soirée ennuyeuse observée dans les séries à succès. Pour combler l'affliction qui me gagnait, un serveur avait eu l'extrême obligeance de remplir mon verre aussi régulièrement qu'il se vidait, désinhibant ma carcasse maigrichonne. Déjà que je ne payais pas de mine dans ma robe bon marché... me laisser seule, livrée à moi-même parmi tous ces loups qui ne se gênaient guère pour me mépriser s'avéra être une très mauvaise idée. Après un énième reniflement dédaigneux à mon égard, j'avais cogné un homme à la main baladeuse.

Ici, les parias de mon genre inspiraient l'irrévérence : nous étions le bas de l'échelle et eux le summum du septième ciel. Pourtant, pas un seul de leurs anges ne parvenait à se soustraire à l'attrait du démon. Ma toilette s'apparentait à des guenilles à leurs yeux mais ces salauds pleins aux as me désiraient ardemment. Quel comble pour ces richards, fervents défenseurs de l'humanité à coups de liasses dispersées dans les taudis.

La mère de Cam était apparue dans sa robe immaculée, stupéfiée. Ange suprême de la pureté interpelé par l'indécence de ses sbires. Du moins l'avais-je cru jusqu'à sa prise de parole... Dans ce bas monde, la bienséance primait toujours sur la bienveillance, protégeant un loup au péril de la brebis.

« Trouvez mon fils, faites-la sortir. »

Cam supposait depuis toujours que ces déviances étaient signe d'inadaptation, que je buvais pour combler une certaine mélancolie. Jamais analyse ne fut si pertinente à mon égard. Mais s'il exécrait ces incartades par la tristesse qu'il m'y prêtait, elles lui offraient l'opportunité de me choyer.

Après une préparation sommaire et un jogging miteux enfilé, j'ingurgitai deux comprimés et décampai en direction de l'hôpital. Je n'étais pas censé travailler aujourd'hui mais le manque permanent de personnel grignotait habilement mes heures de sommeil.

Sur le chemin habituel, un camion s'engagea toutes sirènes hurlantes, présageant d'un quelconque drame au sein de la cité. Et comme à chaque fois, des frissons parcoururent mes bras, hérissant le bulbe de mes poils. Contrairement aux idées reçues, on ne parvenait jamais vraiment à... composer, avec les malheurs de chacun. Être confronté aux maladies, à la mort, ne devenait jamais une habitude.

J'accélérai le pas et hésitai brièvement à passer par la clinique. Hélène y était toujours hospitalisée mais ne donnait aucunes nouvelles. Rien d'alarmant en soit, si ce n'était que Caroline, l'aide-soignante avec laquelle j'avais travaillé et gardé contact, me tenait régulièrement informée et, pour le peu que j'en savais, celles-ci ne brillaient pas par leur optimisme.

Lorsque je passai enfin les portes du vestiaire, le silence se fit parmi mes collègues d'un jour. Certaines se faufilèrent en me jetant de mauvais regards tandis que les autres se contentaient de m'ignorer.

― Manquait plus que ça, bougonna l'une d'elles.

J'avais appris à mes dépens qu'une règle tacite existait entre les contre-équipes, un fait immuable et irritant : celles-ci étaient vouées à se détester. Apparemment, c'était de notoriété publique. Moi, je l'assimilais jour après jour.

Mariage en satin noirWhere stories live. Discover now