Chapitre 1

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« La vie est un jeu. L'argent est ce qui nous sert à compter les points. » - TED TURNER



                                                                          1er novembre 2013

London, England

        La soirée s'annonçait comme un vendredi soir des plus ordinaires au Bon Manger, restaurant situé sur une rue passante de la capitale de l'Angleterre. La salle à manger s'était remplie à une vitesse impressionnante, étant déjà occupée par une soixantaine de clients. Tous aussi désagréablement hautains les uns que les autres, ils étaient vêtus d'habits à 500 livres agencés à des accessoires à la dizaine qui avaient dû leur coûter autant. Non, la jeune femme n'avait pas l'habitude de juger les gens par leur apparence, mais en entendant le ton supérieur avec lequel ils s'adressaient à elle, la serveuse ne se sentait point coupable de les étiqueter ainsi.

      Ann-Elizabeth Phillips se tenait devant la glace. Les bras tendus en appui contre le comptoir, elle releva le regard vers son reflet. Le chignon qui rassemblait ses cheveux rendait ses traits sévères, quasiment froids. L'absence d'un sourire, deux pupilles tristes, elle semblait prisonnière de son propre corps, soumise à la vie. En sentant l'émotion se bloquer douloureusement au creux de sa gorge, elle souffla bruyamment. De ses mains tremblantes, la serveuse vint cueillir de l'eau à l'aide de ses paumes. Ann éclaboussa alors son visage puis étouffa un cri de surprise en remarquant le froid pénétrer dans les pores de sa peau.

      De l'autre côté de la porte, une femme tapa impatiemment. Ann s'empressa d'essuyer son visage et rassembla ses affaires personnelles dans son sac. C'était en tournant la poignée qu'elle découvrit sa patronne visiblement contrariée.

      - Dis-moi, je te paie pour traîner dans les toilettes?

       Ce ton direct, elle y avait eu droit des centaines de fois pendant ses trois années de service. Que ce soit pour lui donner un ordre ou lui adresser une remarque négative, la serveuse avait appris à ne répliquer en aucun cas pour ainsi éviter les prises de bec. Soumise et prisonnière. Ann-Elizabeth savait pertinemment que cette affirmation était loin d'être une question à laquelle sa patronne attendait une réponse ; c'était plutôt un reproche. Et, avec habitude, le visage de la jeune femme sut rester d'une froideur incomparable, vide de toutes émotions.

      - Je ne crois pas, renchérit Diane. On a besoin de toi dans la salle à manger, dépêche-toi!

        Elizabeth se contenta d'acquiescer d'un simple geste de tête en passant près de Diane. Elle fit un tour rapide aux cuisines du restaurant, attrapant son tablier au passage. Ann laissa glisser le morceau de tissu contre son corps, épousant les formes de sa silhouette. Elle retint son souffle en remarquant ses doigts aller nouer son tablier un peu plus loin contre sa frêle taille. La dure vérité, son ventre criait famine.

        Elle releva le menton et vint pousser les grandes portes de la cuisine afin d'accéder au plancher de la salle à manger. Diane n'avait pas exagéré ; la place était bondée. D'une démarche qu'elle voulait assurée, Ann se dirigea vers Gracy, serveuse de longue date au restaurant. Sa chevelure grisonnante était également remontée en un chignon intact, et ses pupilles bleu clair reflétaient cette touche de sagesse. La femme gratifia la jeune serveuse d'un sourire réconfortant.

- Gracy, qu'est-ce que je peux faire pour aider?

- Chérie, tu devrais aller aider Katya à la table 7. Ne regarde pas trop longtemps, mais remarque bien qui s'y trouvent, confia la quinquagénaire en pointant discrètement du menton.

Butterfly - HSWhere stories live. Discover now