CHAPITRE SIX .4

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Tranit se dit qu'elle ne devait pas penser à la nuit s'approchant ni à une couche d'herbe fraîchement coupée : elle s'y effondrerait probablement plus vite qu'un fêtard ivre mort !

La plupart des arbalétriers étaient déjà répartis en petits groupes pour monter la garde. Le légat s'était rapproché avec leurs visiteurs. Des cavaliers descendaient vers la rivière. Tranit eut un regard appréciateur en voyant comment ses gens s'étaient installés.

On devinait la sûreté ainsi que la responsabilité de ceux-ci. Il y avait de mauvais coucheurs, comme dans tout groupe, mais le boulot passait avant, ils savaient qu'elle l'exigerait. Ça faisait vraiment plaisir à voir.

Tranit fit passer la nouvelle qu'un navire les prendrait presque certainement à leur bord le lendemain et cela ajouta à la bonne humeur ambiante. Les questions d'organisation réglées, elle put enfin mettre pied à terre et aller voir son erkis.

L'animal avait été installé sur une petite motte d'herbe qu'un soldat avait tranchée au plus ras pour en faire une litière assez confortable. Tranit avait gardé un sac contenant des fourmis enrobées de miel que l'animal avala en deux coups de gueule.

Toujours proche de la femelle pleine, l'odeur de celle-ci le gardait comme captif et beaucoup plus docile qu'on aurait pu s'y attendre de la part d'un animal aussi puissant. Les pattes fermement liées l'empêchaient de s'enfuir et il restait un peu bêtement au sol, inspirant sans cesse les effluves de la femelle dorkis qui regardait inquiète autour d'elle avant de picorer de nouveau sa litière.

Elle fut rejointe par Tanel, accompagné d'un jeune chevalier du Banca.

— Commandant, les nouvelles vont vite. Nos invités vont tous vouloir venir observer votre prise.

Tranit se tourna vers le second cavalier qui mit pied à terre avant de la saluer.

_ Sahix, du deuxième escadron de la garde de l'Ordiarp.

Il avait un uniforme assez semblable à celui de l'enseigne avec lequel elle avait discuté la veille. Elle l'observa quelques instants puis elle lança, au hasard.

— Donc carabi... nier ?

— Oui, carabinier, commandant, répondit le jeune homme avec un éclair d'intérêt dans le regard.

Tanel lui tapota l'épaule avec fierté.

— Il est déjà chef de bataille, alors que nous avons le même âge.

Tranit sourit parce que le regard de Tanel ne démontrait pas qu'une simple admiration pour les capacités militaires du jeune homme. La bataille était un ensemble de lances, au nombre variable selon les unités et les circonstances. Le Montagnard corrigea.

— Chef de peloton chez nous, avec un grade de lieutenant. Mais ce n'est rien. Je suis venu le voir !

Il s'approcha de l'erkis qui reniflait vers la touffe d'herbe en émettant quelques gazouillis. Il se tourna vers Tranit.

— Une bête magnifique. Il a dû naître tard dans la saison pour être à ce moment sensible à une dorkis pleine. C'est une chance incroyable que ces deux animaux se soient rencontrés.

Tranit confirma d'un signe de tête. Elle se représentait bien la chance extraordinaire que cela représentait, qu'importe ce qu'en disaient les autres.

— Lorsque j'ai réalisé ce que j'avais réussi à faire, j'ai eu un coup de chaud. Je n'en attendais pas tant.

— Vous voulez le garder pour votre service personnel commandant ?

Les épaules de Tranit s'affaissèrent un peu, elle voyait très bien où ce jeune officier voulait en venir.

— J'aimerais beaucoup et je le pourrais, mais je suis officier de milice. Ça serait stupide de gâcher une telle bête. Je ne pourrais jamais intégrer une lance de cavalerie lourde, je n'ai pas le gabarit et les hallebardes sont trop difficiles à manier pour moi.

— Oui, et un sacré bon officier si j'en crois les commentaires de Tanel et des autres.

Tranit ne releva pas le compliment, plongée dans l'observation de l'erkis. Le Montagnard poursuivit.

— J'ai passé mon enfance à m'en occuper. J'étais écuyer avant d'intégrer les carabiniers et je sais apprécier d'un coup d'œil un animal. Celui-ci fera votre fortune commandant.

— Fortune ?

— Oui, confirma sans hésitation le jeune homme. Regardez ! Son poil, cette couleur plutôt originale. Son géniteur était un puissant mâle combattant. On m'a parlé de l'aisance avec laquelle il s'était mis au trot après que vous lui avez coupé la queue. Cela démontre une puissance musculaire, mais aussi une souplesse supérieure à la normale.

Tranit opina du chef en entendant ces explications. Elle n'avait pas trop l'habitude de ces animaux.

— Le commandant de la garde qui était avec nous est venu me voir et m'en a proposé huit doubles-soleils d'or. Notre ancien commandant de bataillon qui se rêve chevalier était trop ivre hier pour venir le voir, mais il a parlé de dix.

Le jeune cavalier approuva d'un signe de tête.

— De belles sommes, de quoi équiper un chevalier et deux écuyers... Mais il en vaut plus.

— Pardon ? Plus ?

Tranit regarda attentivement le jeune homme. Même Tanel était étonné et voulait en entendre plus. Le carabinier poursuivit.

— Oui, j'en suis persuadé. Laissez nos officiers venir l'admirer. Notre jeune seigneur prince est accompagné par deux de ses cousins, chevaliers de la garde. Ils montent des dorkis pour le voyage, mais dans nos colonnes, leurs erkis sont bien là. Vous verrez ce soir. Le prince vous invite à le rejoindre pour un dîner informel.

Tranit se raidit, se souvenant à l'instant de l'invitation, elle n'avait même pas encore eu le temps de se laver les mains ou de s'essuyer le visage.

Elle remercia le jeune officier pour ses explications et le laissa à l'attention exclusive de Tanel qui manifestait une certaine impatience à reprendre leur conversation là où ils l'avaient interrompue pour venir lui parler. Ces garçons étaient parfois d'un manque total de discrétion lorsqu'ils s'enflammaient pour quelqu'un.

Elle récupéra sa monture et alla directement à la rivière pour faire une toilette rapide. Elle ne disposait plus d'aucun change propre, mais il fallait faire bonne figure.

Tranit y vit de nombreux cavaliers montagnards qui s'y trouvaient aussi pour faire une toilette, certains avaient même trouvé le moyen de faire du feu pour chauffer de l'eau.

Tranit s'arrangea pour leur quémander un gobelet d'eau chaude et s'en servit pour se débarbouiller le visage. Une femme un peu plus âgée qu'elle lui tendit un pot de terre contenant du savon avant de retourner auprès de plusieurs femmes s'amusant à taquiner un jeune homme qui ne pouvait plus sortir de l'eau tant son émotion était visible.

Cruels, ses amis, qui se lavaient à quelques pas d'eux, se joignaient aux taquineries. Tranit s'en amusa en silence. Elle avait déjà assisté à de telles scènes. Combien de fois avait-elle vu ses amies fleurer à foison au point que les garçons alentour finissaient tous par avoir des érections ? Les jeunes Montagnards leur ressemblaient en tout point.

Ils célébraient leur insouciance. Tranit n'en avait pour le moment rencontré aucun qui ne parut troublé à l'approche d'un conflit, le premier pourtant depuis si longtemps. La vie dans les hauteurs pyrénéennes était-elle différente ?

La jeune femme préféra ignorer les réponses possibles à ses interrogations et se consacra à sa présentation. Elle verrait mieux comment étaient ces gens pendant le repas.

Elle se peigna longuement pour discipliner sa chevelure qu'elle n'avait pas eu le temps de laver depuis plusieurs jours, se signalant qu'une petite coupe serait parfaite et épousseta sa tenue de voyage. Tranit s'assura qu'il n'y avait pas la moindre tache suspecte rappelant ce qui s'était passé la veille, mais elle était vraiment chanceuse. Elle aurait cependant donné cher pour ôter ses bottes et plonger ses pieds dans une bassine d'eau froide pour quelques heures.

Au moins, elle ne grouillait pas de vermine comme cela arrivait à certains et pourrait se présenter devant le chariot du prince en ayant une assez bonne apparence.

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Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant