CHAPITRE DIX.4

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Elle voulut remonter sur sa monture, mais celle-ci, la crête dressée et laissant échapper un faible gloussement sourd d'alarme, voulait se recroqueviller sur le sol. En l'absence de cri venu du ciel, Tranit observa les alentours immédiats.

Ilane et son cavalier sur l'amoncellement de pierre qui s'inquiétaient de la voir arbalète à la main alors qu'ils étaient désarmés. La lieutenante avait posé sa main sur une pochette devant contenir une massette de combat, mais ça ne lui servirait pas à grand-chose.

Deux autres cavaliers étaient sur la gauche du petit groupe, pieds à terre et engagés dans une discussion passionnée quant à ce qu'ils avaient écrit. Ils ne remarquaient même pas que leurs dorkis eux aussi avaient adopté la posture des animaux face à un prédateur.

Un grondement rageur monta dans la gorge de Tranit, alors qu'elle s'élançait vers eux.

— Sombres idiots, leur lança-t-elle violemment avant de brandir son arbalète à répétition et de lâcher plusieurs traits en direction de la grosse tête qui s'élevait de l'herbe, gueule grande ouverte.

Les deux cavaliers remarquèrent Tranit et s'en effrayèrent bruyamment avant d'entendre un sifflement alarmant dans leur dos.

Bien qu'un ou deux carreaux aient déjà percé sa gueule, l'animal assez agressif plongeait vers l'un des dorkis pour tenter de l'avaler. Tranit, en voyant le ventre jaune et ce dos noir strié de jaune, avait reconnu une couleuvre commune de la région.

Le volatile apeuré allait se faire boulotter, mais Tranit laissa tomber son arbalète et s'empara de son épée alors que les deux cavaliers restaient pétrifiés. Tranit franchit les dernières vingt toises alors que la couleuvre était parvenue à ses fins et sauta sur son large dos.

Elle était dans la position idéale pour une mise à mort. Elle plongea sa lame à la base du crâne, força les écailles noires et marron recouvrant la tête et tua l'animal qui tentait dans une mastication réflexe d'avaler le dorkis qui se débattait faiblement.

Tranit reperça le crâne par sécurité en poussant de toutes ses forces. Elle allait replonger quand, à moins d'une coudée d'elle, de longues flèches se plantèrent dans l'œil et sur le crâne du serpent désormais mort.

Tranit effectua une roulade arrière sur le dos de l'animal, manquant de tomber malgré sa largeur et vit avec fureur Ilane tirer encore une flèche de son grand arc alors qu'elle était à plus de trente toises d'elle.

— Mais ça va pas la tête, non ! Le serpent est mort. Tu ne me vises pas avec ça, la menaça-t-elle de son épée, le souffle court. Pas sans prévenir ! Vous ne connaissez pas les règles ?

— Mes excuses commandant, je voulais vous aider. Je ne vous aurais pas touchée, j'en suis certaine.

Tranit ne dit rien, mais ses yeux exprimaient bien ce qu'elle pensait de la dangerosité d'une telle action. Elle se tourna vers les deux cavaliers qui n'en menaient pas large.

— Bande d'imbéciles ! Il y a des coups de fouet qui se perdent ! leur cria-t-elle avec dégoût.

Ilane s'approchait, furieuse elle aussi de l'attitude désinvolte de ses hommes, mais elle hésitait sur l'attitude à adopter face à Tranit.

Cette dernière remonta sur son dorkis et leva les yeux vers le ciel qui s'assombrissait.

— Bon, apparemment votre problème de bivouac est réglé, si vous ne vous faites pas bouffer par un autre serpent. Je rentre à Outre-berge. Suivez-moi pour reconnaître le chemin, si vous le souhaitez.

Sans rien dire d'autre, Tranit descendit la colline en mettant son dorkis en petites foulées. Elle entendit un cavalier la suivre.

Ilane vint se mettre à ses côtés.

— Toutes mes excuses commandant. Il y a des choses que je ne peux pas vous expliquer ni vous montrer. Il y va de ma vie.

— n'expliquez pas ! Je ne veux rien savoir ! Je comprends, rétorqua-t-elle d'un ton vexé et furieuse de se laisser emporter.

Elle poursuivit sa descente et rejoignit la rive du Sombrun, bien sombre à présent. Il était difficile d'imaginer un chemin de terre tassée tant la couche d'humus était importante le long de la voie d'eau. Les dorkis avaient envie de s'arrêter pour picorer ce sol prometteur de festin.

Tranit avança jusqu'à un cairn de signalisation qu'elle montra à la Montagnarde qui restait silencieuse.

— Ici, vous traversez le ruisseau et de l'autre côté vous trouverez un chemin bien entretenu qui conduit à l'arrière de la source du Layza, expliqua-t-elle d'un ton sec. C'est à moins d'une lieue. Ce passage traversé, vous rejoignez Outre-Berge tout droit ou bien en remontant cette partie du Layza vous arriverez à la maison forte abandonnée.

— Oui commandant, merci, lui adressa la lieutenante d'un air affecté.

Tranit engagea son dorkis dans le courant, en regardant bien l'autre cairn situé en face. Une lampe à quartz le signalait même pendant la nuit, bien qu'il soit fortement déconseillé de tenter la traversée tout seul.

Mais Tranit se sentait irritée et talonna sa monture qui par chance pour son orgueil, ne rechigna pas et traversa le cours d'eau en nageant gaillardement. La jeune femme entendit les chasseurs se lancer à sa suite. L'eau était bien froide et pénétra dans les bottes de la jeune femme qui s'en voulut de ne pas avoir pensé à remonter ses jambes. Sa monture reprit pied sur les berges en même temps que celles des Montagnards.

Tranit poursuivit en prenant sur la gauche le chemin qui menait aux sources, celui conduisant au bourg. Il lui fallut près d'une heure de trot soutenu et une traversée bien plus facile pour enfin apercevoir le bosquet d'Outre-berge et le haut de ses remparts.

Tranit s'arrêta encore une fois pour montrer un moulin à vent.

— Lorsque vous venez du bourg par la porte ouest ou celle du nord, par la droite de ce moulin vous rejoignez la maison forte. Le chemin y est en général dégagé sauf au plus fort de l'hiver.

— Bien compris commandant. D'autres habitations avant la maison forte ?

— Non.

Tranit se remit au trot tant elle avait hâte que cette corvée finisse enfin. Savoir la maison proche, retrouver sa famille et ses amis, tout cela lui semblait soudainement plus important que tout. Elle s'en voulait aussi de s'énerver, mais ne pouvait retenir ses émotions. En se revoyant frapper la couleuvre, elle avait vu le visage du séide de Bornarou fils et cela l'incommodait. Elle sentait comme un goût de bile lui remonter dans la gorge et s'en voulait de se sentir faible. Le trajet fut donc terminé au grand trot, alors que la nuit tombait sur le bourg.

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Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant