Une âme d'enfant

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Séquence mémorielle - archives – 25 décembre 2039 :

« Je sais, c'est horrible. Je suis désolé. »

Je me tiens assis dans la cuisine, une main sur la table en bois, les jambes croisées, le regard baissé. Ridicule. Cette idée était ridicule depuis le début. Cela n'avait strictement aucune chance de fonctionner. Après tout, je ne suis jamais qu'une machine qui cherche à jouer aux humains. Mais cela me semblait tellement important, sur le moment. Hank n'avait plus fêter de Noël depuis la mort de Cole. Et moi, je n'avais jamais eu l'occasion de le faire. C'était apparemment pourtant une tradition humaine essentielle. Un peu naïve, certes, mais j'avais été attendri par la symbolique qui en découlait. Un moment de partage, de fraternité, durant lequel on devait penser aux autres avant de penser à soi-même. C'était si rare que l'humanité fasse cela que je pensais réellement qu'il fallait fêter ça. Et j'avoue que je m'étais peut-être un peu trop laissé emporter par ces rues qui se paraient d'étoiles clignotantes, ces yeux d'enfants émerveillés devant les vitrines des magasins, et la chaleur douce qui émanait des stands sur les marchés de Noël dans le froid mordant de l'hiver.

Je reporte mon attention sur mon partenaire. Il ne dit pas un mot, mais il me dévisage avec un indéchiffrable sourire en coin. Puis, avec délicatesse, il saisit entre ses doigts ces quelques morceaux de bois et de métal maladroitement travaillés avant de les scruter de son regard impénétrable. Je ressens une légère appréhension. Je n'aurai sûrement pas dû faire ça. Ma base de données m'avait sans nul doute induit en erreur. Elle me contait que Noël était une fête emplie de bonheur chez les Hommes, un événement important, presque magique de part sa signification et les contes et légendes qui l'entouraient. J'avais voulu que la maison de Hank se remplisse un peu de joie aussi... Mais je n'avais pas tenu compte du fait que la mort de son fils avait irrémédiablement vidé son c?ur de ce sentiment. Je n'étais qu'un crétin d'androïde doté d'un foutu programme psychologique.

« Connor... »

Je ne le laisse pas finir sa phrase. J'ai compris la leçon.

«  Je suis désolé, Hank, ça ne se reproduira plus. Je voulais simplement... mais je ne suis pas doué pour ça, apparemment. »

J'aurai dû me douter que mon partenaire ne souhaitait sûrement pas célébrer cet événement. Après tout, Noël n'a pas de prise sur les vieux murs de cette demeure. Le seul témoin de cette fête, c'est le paquet déchiré qui gît devant Hank et le petit bibelot qu'il tient entre ses mains. Sa voix me répond sur un ton tendrement agacé :

« Oh arrête un peu ton cirque ! C'est franchement pas trop mal. C'est... moderne. »

J'incline ma tête sur le côté alors que la lueur dorée de ma LED s'amuse à faire écho aux pâles clignotements qui s'infiltrent timidement par la fenêtre, leur lumière tamisée provenant des décorations suspendues aux maisons voisines. Mais ici, dans cette pièce, il n'y a aucune artifice de ce genre. Depuis que la rue s'était ornée des couleurs de Noël, il n'y a pas eu un soir où le vieil homme ne s'était pas plaint de ces scintillements mièvres qui lui filaient la nausée. J'en été même arrivé à la conclusion qu'il était peut-être légèrement épileptique, d'où ces symptôme nauséeux mais, lorsque je lui avait fait part de ma théorie, il avait simplement éclaté de rire en secouant la tête d'un air désespéré tandis qu'il ajoutait : « décidément mon grand, y'a des choses qui ne changeront jamais. »

Je chasse ces réminiscences de mon programme et je me concentre sur les quelques mots que Hank vient de prononcer. Je ne sais pas s'il est sincère ou non. J'ai toujours beaucoup de mal à saisir le concept d'ironie, surtout lorsque le lieutenant garde un air aussi sérieux. Je peine tout de même à croire qu'il trouve cette chose « pas trop mal... » Cette ambiguïté me met mal à l'aise, mais au moins, Hank ne semble pas s'offusquer de mon présent. Je craignais que cela ne lui rappelle Cole. C'est sans doute le cas, mais il ne m'en tient apparemment pas rigueur. C'est surprenant. Mais cela ne chasse pas ma gène pour autant. Un des androïdes les plus perfectionnés de Cyberlife, mais bien sûr ! C'était une tentative pitoyable. Vraiment.

[DBH] Instants d'éternitéWhere stories live. Discover now