L'Eau de Vie et de Mort - 3/6

3.1K 451 149
                                    

Ils mirent encore trois jours entier avant d'arriver en vue de la forêt.

Lyoth comprit instantanément pourquoi on l'appelait « l'Impénétrable ». Les arbres aux troncs sombres, presque noirs, jaillissaient brusquement de terre, sans un bosquet, sans un buisson d'avertissement, si proche les uns des autre qu'à la distance à laquelle ils se trouvaient, l'orée des bois n'était qu'un mur compact aux textures changeantes.

-On ne me fera pas croire que cette forêt n'est pas magique, lâcha le cambrioleur en arrêtant son cheval au sommet de la colline qu'ils venaient d'atteindre.

-On n'essayera pas, répliqua aussitôt Tarrek, dont le cheval était assez proche de celui d'Hélios pour le frôler.

Le prince héritier était pâle, aussi pâle qu'un noyé, et avait l'air presque aussi fatigué. Le cœur de Lyoth se serrait à chaque fois qu'il posait son regard sur lui, triste et horrifié de voir un homme si lumineux réduit à une telle fatigue. Et pourtant, il reste beau, songea-t-il in-petto alors que l'objet de ses pensées, en croisant son regard, lui offrait un pauvre sourire. Beau et adorable.

-Nous n'avons pas de temps à perdre, trancha Tarrek. Nous ne pouvons pas attendre demain.

-Vous voulez rentrer là-dedans en pleine nuit ? Hoqueta Lyoth. Vous êtes complètement suicidaire !

-Si tu n'es pas content, Lyoth, tu peux toujours faire demi-tour.

-C'est toujours la même chose avec vous, soupira le voleur. Vous réagissez au quart de tour. Il faudrait vous apprendre à faire dans les demi-mesures !

-Tu râleras sur le chemin, lança Tarrek en s'éloignant, la bride du cheval de son frère à la main.

-Et pourquoi vous me tutoyez, d'abord, alors que je suis obligé de vous vouvoyer ? Renchérit Lyoth, têtu, en les suivant.

-Parce que je suis prince ! Répliqua Tarrek sans même se retourner.

-Ce n'est pas... Bon, d'accord, c'est une raison valable. Mais nous sommes partenaires dans le crime !

-Partenaire dans le crime ? Répondit Tarrek d'une voix sceptique. Et depuis quand ?

-Depuis que nous sommes partis voler l'eau d'une fée ensemble, rétorqua l'autre.

-Un point pour lui, commenta Hélios d'une voix fatiguée. Ce qui fait... quarante-trois à trente-deux, pour Tarrek.

-Oh, allez, celui-là comptait au moins pour deux ! Insista Lyoth.

-Je ne vois pas pourquoi il compterait pour deux, rétorqua Tarrek. La réplique n'était pas si bonne que ça. Tu aurais pu répondre bien des choses, en sommes ! Quelque chose d'agressif, par exemple... « Si le crime se fait connaître, c'est nos deux cous que l'on pendra ! »

-Vous m'auriez tué si j'avais dit ça.

-Certes, concéda Tarrek. Quelque chose de plus amical, alors : « Mon vénéré prince, je me dois de vous prévenir que le forfait, lorsqu'il sera commis, risque d'entacher votre belle âme aussi ».

Tarrek ne savait pas ce qui lui prenait de parler autant. Ou peut-être, si : la forêt emplissait lentement son champ de vision, masse sombre sur un ciel déjà noir, que seul l'effacement des étoiles permettait de délimiter. La nuit semblait devenue solide, concrète, en face de lui. Et gorgée de cauchemars. Sa peur et sa nervosité formait au fond de son ventre un nœud de plus en plus lourd, et de plus en plus tenace. Il n'avait jamais fait quelque chose d'aussi dangereux. Il ne s'était jamais éloigné d'une ville sans escorte pour le protéger, sans personne pour le rassurer. Il était terrifié.

Contes des royaumes oubliés (BxB)  Where stories live. Discover now