Contes des royaumes oubliés (BxB)

L'Oiseau et le chevalier noir 2/3

— Qu'est-ce que... balbutia le barde, à la fois émerveillé et stupéfait.

Cette citée était immense, au moins, vingt, trente – non, quarante – fois plus vaste que le château où il avait grandit. Elle était entourée d'une série de fossés où le ciel blanc se reflétait, tranchant dans la terre sombre. À l'intérieur, les maisons s'entassaient les unes sur les autres dans un fouillis indescriptible, comme un jardin envahit par les mauvaises herbes. D'épaisses colonnes de fumée s'échappaient des toits, infligeant aux cieux mille cicatrices sombres.

— Shangra l'Ancienne, souffla l'oiseau, tout excité. J'en ai entendu parler par des marchands, il y a quelques années ! Par les fées, je n'arrive pas à croire que je suis vraiment là !

— « L'ancienne » ? répéta Kéros d'un ton moqueur. Les gens du coin l'appelle plutôt « la délabrée » ou « la purulente »...

S'il avait espéré que cela refroidirait l'enthousiasme du barde, il en fut pour ses frais.

— De toute façon, lâcha-t-il en commençant à descendre, je ne compte pas faire la visite des monuments. Je repars demain matin, le temps d'avoir remplit mon sac de provision et profité d'une nuit dans un lit. Toi, tu fais ce que tu veux, bien sûr...

— Attendez, s'exclama le barde en le rattrapant, vous ne comptez pas demander d'indications ?

— Sur quoi ?

— Eh bien... Le sorcier ? N'était-ce pas votre quête, celle pour laquelle vous seriez prêt à donner la vie de tous ceux que vous croisez ?

— À t'entendre, on croirait que je suis un dangereux meurtrier psychopathe.

— Ne soyez pas déçu, je suis sûr que vous en serez un, un jour.

Kéros secoua la tête, amusé malgré lui. Quelque chose qui arrivait de plus en plus souvent ces derniers temps – c'était inquiétant.

— Concernant le sorcier, reprit-il, les gens n'ont jamais rien d'intéressant à dire. Cela fait longtemps que j'ai arrêté de leur demander quoi que ce soit.

— J'ai pu constater ça à Kynergourb, railla le barde. Avec facilité d'expression comme la votre et un premier contact si aimable, je ne comprends pas pourquoi les autres ne vous ferais pas confiance...

Kéros le fusilla du regard.

Le barde soupira tragiquement et leva les yeux pour prendre le ciel à parti.

— Eh bien, je suppose que cela va être à moi de jouer, alors.

— Pardon ?

— Trouvez-nous une auberge et laissez-moi faire.

— Je ne te protègerais pas si tu t'attires des ennuis.

— Mais oui, mais oui. Tu n'es pas obligé de me le répéter à chaque fois, tu sais, je sais que je ne peux pas compter sur toi.

Ça ne sonnait pas comme une accusation, mais une simple affirmation. Kéros haussa les épaules et paya le droit d'entrée dans la citée.

~

Le soir, avant que son taciturne compagnon n'ait pu dire quoi que ce soit, Hesmé négocia le prix de leur repas et d'une chambre à deux lits contre une prestation. Comme il s'agissait d'une période creuse, l'aubergiste accepta, avec possibilité de le jeter dehors s'il était mauvais.

— Je chante comme un oiseau, lui promit le barde en grimpant sur une table.

Apparemment complètement désintéressé par la situation, Kéros s'assit dans le coin le plus éloigné, une choppe de bière à la main. Il s'attendait peut-être à le voir se ridiculiser, au milieu des ivrognes, qui ne ressemblaient ni de près, ni de lui à son public habituel. Mais Hesmé était doué, et pas seulement par la voix. Il savait capter l'attention des gens, il savait se rendre fascinant. Et lorsqu'il commença à chanter, que sa voix d'une pureté irréelle résonna dans l'air, tout le monde écouta.