L'Oiseau et le chevalier noir 3/3

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Les ruines semblaient s'étirer sur des kilomètres, sombre entassement de squelettes de maisons, de restes de murailles et d'un souvenir de château dont toutes les tours s'étaient écroulées, sauf une.

Personne n'était allé vérifier sur place, mais tout le monde, à des lieux et des lieux à la ronde, était persuadé que c'était là que vivait le sorcier qui avait maudit le pays. Maintenant qu'ils y étaient, ce n'était pas difficile de comprendre pourquoi : la citée morte pullulait de monstres.

En plein jour.

Sous la lumière du soleil, ils étaient encore plus laids, plus difformes et plus repoussants, leurs mâchoires trainantes semblant désespéré d'arracher la chair du premier humain qu'ils verraient. Ils erraient au hasard dans les rues, rentrant les uns dans les autres sans s'arrêter, murmurant encore et toujours les mêmes plaintes incompréhensibles.

Au premier regard qu'il posa sur l'endroit, Hesmé sut qu'ils ne parviendraient jamais au château en vie.

Sans rien dire, Kéros et lui dressèrent le camp pour la nuit sur un surplomb rocheux. Étrangement, personne ne vint les attaquer, comme si les monstres étaient trop occupés à garder leur sinistre bastion pour roder aux environs.

C'était la première nuit qu'ils passaient dehors, seuls, tous les deux, sans avoir à se battre. Hesmé ne pouvait s'empêcher de songer qu'il s'agirait probablement de la dernière, s'ils tentaient demain d'atteindre le sorcier.

Kéros contemplait la ville, perdu dans ses pensées. Finalement, n'y tenant plus, Hesmé s'assit à ses côtés et posa ses mains sur ses épaules pour le tourner dans sa direction.

— Il y a trop de monstres, asséna-t-il du ton le plus confiant qu'il put convoquer.

Kéros fronça les sourcils, comme si la phrase n'avait aucun sens.

— Il y a trop de monstre, répéta Hesmé, presque désespéré. Nous ne passerons jamais !

— Bien sûr que si, rétorqua le chevalier en le fusillant du regard.

— Nous allons nous faire tuer !

— Personne ne t'oblige à venir.

La phrase resta suspendue en l'air durant quelques secondes.

Puis Hesmé la balaya d'un geste, s'assit sur ses genoux, et prit son visage entre ses mains.

Stupéfait, le chevalier se figea.

— Kéros, je t'en supplie, écoute-moi, souffla le barde en plantant son regard dans le sien.

Ils étaient si proches...

— Kéros, Aller là-bas est synonyme de mort. Tu n'aideras personne si tu te fais trucider.

— Je t'ai déjà dit qu'il ne s'agissait pas de justice, rétorqua sèchement le chevalier en lui saisissant les poignets, mais de vengeance. J'ai dit que je tuerais le sorcier, et je le tuerais ou je perdrai la vie en essayant. C'est tout.

Il détacha les mains d'Hesmé de ses joues, sans les éloigner vraiment.

— Kéros... balbutia le barde, les yeux luisants. N'y a-t-il vraiment rien qui vaille la peine de vivre ? N'y a-t-il vraiment personne qui compte plus que la mort pour toi ?

Le chevalier se contenta de le regarder, le souffle court, visiblement déchiré par un dilemme intérieur.

Il se pencha très légèrement vers lui, presque inconsciemment.

Hesmé libéra ses mains, les posa sur ses tempes et l'embrassa.

Les bras de Kéros s'enroulèrent autour de sa taille alors que ses lèvres approfondissaient l'étreinte, complètement perdu dans le malstrom de sensations et de sentiments qui renversait ses pensées.

Contes des royaumes oubliés (BxB)  Where stories live. Discover now