Chapitre 4

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La boutique de Zuri était située très avantageusement, en plein centre-ville au milieu des boutiques les plus branchées. Depuis que la magie organique revenait à la mode, malgré l'engouement inépuisable pour les sortilèges artificiels à bas prix, les affaires de la botaniste étaient florissantes. Elle avait une pépinière en banlieue et vendait le produit de ses cultures en ville, toutes les plantes dont un praticien pouvait avoir besoin pour ses potions. C'étaient des ingrédients naturels et de qualité qui faisaient fureur dans le gratin magique d'Avillon. Sofka se réjouissait du succès de sa meilleure amie, évidemment, mais regrettait aussi le temps où elles pouvaient passer la journée accoudée au comptoir à discuter sans jamais être dérangées par l'arrivée d'un client. Ce fut donc sans surprise que Sofka pénétra dans une boutique pleine de magiciens aisés en train d'examiner les différents plants en pot pendant que Zuri expliquait les qualités de chacun. La botaniste se retourna lorsque la porte s'ouvrit et sourit à Sofka avant de terminer avec ses clients. La gorgone en profita pour rejoindre le comptoir et déposer la plante de Dyal dans son sachet.

- Qu'est-ce que c'est que ça ? s'amusa Zuri lorsqu'elle la rejoignit enfin.

- A toi de me le dire, répondit Sofka. Il était dans le bureau de ma victime.

- Oh, pauvre petite chose, fit la botaniste d'une voix mielleuse, comme si elle s'adressait à un animal mignon. Maman va bien s'occuper de toi, petite orpheline.

Zuri essuya ses mains terreuses sur son tablier et contourna le comptoir pour fouiller ses réserves à la recherche d'un pot adapté. Sofka se pencha un peu, discrètement, pour apprécier la silhouette de la botaniste dans son pantalon slim. Un serpent siffla dans son oreille mais elle le chassa d'un geste. Elle détestait quand ses reptiles se permettaient de lui rappeler ses états d'âme, de les incarner ouvertement, comme si elle n'en avait pas conscience. Comme si elle ne savait pas qu'elle ne pouvait pas risquer de gâcher son amitié avec Zuri en laissant transparaître les sentiments plus romantiques qu'elle avait à son égard. Elle se redressa et détourna le regard vers les rangées de plantes vertes alignées sur le mur. Malgré tout le temps qu'elle passait dans la boutique, elle aurait bien été incapable d'en nommer plus de trois. Les potions, ce n'était vraiment pas sa tasse de thé, elle préférait tisser un bon petit sortilège maison. Zuri objectait toujours que la même logique s'appliquait, que l'on composait une potion exactement comme elle assemblait ses sorts, mais Sofka n'avait simplement pas la patience de hacher des feuilles ou écraser des coquilles d'insectes puis attendre trois semaines que la potion finisse d'infuser. Non merci.

- Tu dis que tu l'as trouvé chez une victime ? reprit Zuri lorsqu'elle se retourna, un pot dans chaque main. Ce n'est pas une pièce à conviction au moins ?

- Non, non, répondit Sofka. Et quand bien même ça le devenait, je pourrais toujours revenir la chercher chez toi. Qu'est-ce que c'est comme variété ?

La gorgone posait toujours la question, mais elles savaient toutes les deux qu'elle oublierait le nom aussitôt.

- Tu vois ces petites fleurs en forme de trompette allongée ? C'est un corydalis argenté, une plante du sud. Très décorative, souvent utilisée pour soigner les maladies neuronales. Les fleurs sont très riches en agents calmants, donc on en met souvent une petite dose dans les potions médicales pour les enfants ou les patients difficiles.

Sofka haussa les sourcils et examina mieux la petite plante. Même si elle ne faisait pas de potions elle-même, elle était fascinée par le pouvoir que pouvait renfermer quelque chose d'aussi petit et inoffensif qu'une fleur.

- Je vais bien m'en occuper, ajouta Zuri avec un sourire malicieux. Tu es un chou de me l'avoir amené.

Elle leva la main et caressa la tête de l'un des serpents qui reposait sur l'épaule de Sofka. Il ferma les yeux en se laissant faire alors que tous les autres se tordaient dans tous les sens pour se frotter contre la peau sombre de la botaniste. Celle-ci eut une petit rire enchanté et leur accorda à tous un peu d'attention. Fallait-il que Sofka soit éprise pour laisser quelqu'un toucher ses serpents aussi familièrement. N'importe qui d'autre se serait pris des crocs venimeux dans la main. Elle sentit le rouge lui monter aux joues et espéra que Zuri ne le remarquerait pas. Son téléphone se mit soudain à vibrer et lui offrit la distraction dont elle avait besoin.

- C'est Fukuda, dit-elle après avoir lu décrypté le message qu'il lui avait envoyé, il m'attend pour interroger un témoin. Il faut que j'y aille. Je repasserais ce soir voir comment ce petit... cordali... ? Comment il va ?

- Corydalis, corrigea Zuri en riant.

Elle fit un petit signe de la main à Sofka quand elle quitta le magasin et la gorgone sentit que son coeur pourrait exploser tant cette petite humaine réussissait toujours à rester adorable.

La Gorgone et la BotanisteWhere stories live. Discover now