L'Astre et le Veilleur : Tome 2 : Des flammes dans la nuit

1 ~ Sylath

Les hypothèses que formule Ilashan sont dites d'une voix sans émotion, dans laquelle le vampire reconnaît plus le mercenaire méfiant que l'amant alangui sur une fourrure douce. Cette nouvelle l'obsède et le vampire n'est pas certain de comprendre pourquoi.

Dans la voix d'Ilashan couve une forme de retenue. L'humain cache quelque chose, et pas forcément une information – après tout, comment pourrait-il savoir quelque chose alors qu'il est dans la forteresse depuis des semaines, coupé du monde ? – mais plutôt un espoir ou une crainte qu'il serre entre ses dents comme pour la broyer.

Et cette impression se renforce quand l'arrivée des étrangers, ramenés à la forteresse par les éclaireurs, est confirmée. Sylath sent le cœur du mercenaire s'emballer et Ilashan quitte précipitamment la bibliothèque.

– Merci Boréa, de m'avoir averti, dit le Flagelleur pour prendre congé.

– Je vais avertir les autres anciens. Nous nous rejoindrons dans la chapelle dans moins d'une heure pour discuter de ce qu'il convient de faire de ces humains.

Le vampire hoche la tête.

– Sylath... Méfie-toi d'Hilvar, ajoute-t-elle. C'est un vampire jeune, il a vécu peu de temps à la forteresse et il a passé de longues semaines seul.

– Je sais, répond Sylath en quittant la bibliothèque.

Ilashan est parti comme une flèche. Sur son chemin vers le grand hall de la forteresse il a dépassé Hilvar qui ne s'est pas élancé avec autant d'empressement. Et Sylath qui le suit d'un pas plus mesuré arrive finalement à la hauteur du vampire, juste à temps pour voir Ilashan disparaître à l'angle d'un long corridor. Sa hâte le préoccupe et il est impatient de le rejoindre. Mais avant... Il dévisage Hilvar qui se trouve à sa hauteur.

– Joli garçon...

Sylath le regarde durement.

– On dirait que je t'ai offensé, ajoute l'éclaireur avec un sourire torve. Ce n'est quand même pas ton calice ? Tout le monde sait que Sylath ne prend plus de calices...

– Ce n'est pas mon calice, confirme le Flagelleur.

– A la bonne heure ! Il m'inspire ! Je lui ferais bien...

Le Flagelleur saisit son bras et le serre dans sa poigne d'acier.

– Ce n'est pas mon calice, le coupe-t-il d'un ton dangereusement calme, mais si tu poses la main sur lui, si tu l'approches, si tu lui parles même de trop près, il se pourrait que tu deviennes le mien le temps d'une nuit.

La figure de Hilvar se décompose. Sylath relâche lentement son bras. C'est une menace très grave qu'il vient de proférer. On ne boit pas le sang des autres immortels, le Veilleur l'a interdit. On ne les menace pas de les vider de leur sang non plus, ce n'est pas très pieux. Et les anciens vampires comme Sylath sont les gardiens de la loi du Temple. On ne tue pas les humains, on ne torture pas, on n'inflige pas de blessure permanente, et les immortels ne versent pas le sang de leurs frères.

Hilvar comprend que ses provocations ont été très mal reçues. Et qu'il choisisse ou non de prendre l'avertissement au sérieux et d'en de tenir compte, la déconfiture qui se peint sur son visage est assez éloquente pour que Sylath se sente satisfait. Il n'a jamais menacé l'un des siens, il n'a jamais été autre chose que patient et protecteur. Mais aujourd'hui il affronterait le Veilleur lui-même s'il menaçait Ilashan. Et il n'a pas envie de se battre contre ses élans de possessivité. Ce sont les émotions les plus humaines qu'il ait éprouvées depuis des siècles.

Quand il arrive dans le grand hall, Ilashan est déjà là, immobile près d'une fenêtre. Sylath observe la tension de ses épaules et la crispation de ses poings. Et une angoisse atroce monte en lui parce qu'il réalise que si ces gens sont d'autres mercenaires, s'ils sont des amis d'Ilashan, s'ils sont venus le secourir, l'humain s'éloignera de lui. Il retrouvera les siens, la perspective du printemps sera la perspective d'un départ commun, accompagné de ceux qui tiennent suffisamment à lui pour traverser le Nord en hiver, et venir, à moitié morts, jusqu'aux confins du monde seulement pour le chercher.