93 ~ Sylath

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Une fois seuls dans le couloir, la tension habite toujours Ilashan. Il congédie Sylath à la fois comme s'il répondait à une accusation et comme s'il tentait de s'excusait dignement, sans lui laisser le temps de parler.

Alors qu'il initie un mouvement pour se rendre certainement aux cuisines, le vampire le rattrape en saisissant sa main. La peau est usée par le froid et le maniement de l'épée, mais néanmoins plus chaude que la sienne.

– Attends. Le reste pourra attendre. L'avantage à ce que tout le Temple pense que tu es mon calice, c'est que personne n'est choqué que je t'accorde plus de temps... Viens, j'ai quelque chose à te montrer.

Après avoir relâché la main du mercenaire, il le guide dans les couloirs jusqu'à une vieille porte que personne ne franchit jamais. Il sort la clef d'or de ses robes de grand prêtre, celle qui ouvre toutes les portes de la forteresse et la glisse dans la serrure.

– Avant tout, rappelle-toi que je ne te veux aucun mal, et que je t'ai donné des raisons de ne pas me craindre.

Sylath n'est pas sûr que ces mots rassurent vraiment le mercenaire, mais il souhaite éviter que dans un mouvement de panique, Ilashan se méprenne sur ses intentions.

Lorsqu'il déverrouille la porte, une odeur de poussière et de rouille s'échappe des lieux abandonnés. Sylath attrape une torche allumée suspendue près de la porte et fait quelques pas à l'intérieur pour aller la fixer à un support.

La flamme crachote et éclaire faiblement une pièce inquiétante et les portes en fer de deux cachots.

– Entre, Ila. Cet endroit n'a été utilisé que pour une dizaine d'hommes en quatre cents ans. Les deux cellules n'ont jamais été occupées en même temps.

L'intérieur des espèces de cage est aménagé par une sorte de paillasse, un brasero pour tenir chaud, et un petit meuble sur lequel poser des effets personnels et une vasque d'eau propre. Tout est vide et propre, excepté la grande quantité de poussière.

– Personne n'est venu ici depuis... quarante ans peut-être. Quand tu es arrivé ici, je t'ai menacé de te soumettre de façon désagréable si tu ne collaborais pas. C'est ici que j'ai soumis ceux qui n'ont pas été sensibles à mes menaces.

Au centre de la pièce de dalles froides, des chaînes pendent du plafond. Et un grand drap gris de poussière recouvre une simple table. Sylath fait quelques pas jusqu'au vieux meuble et soulève le drap qui libère un nuage de poussière irritante.

Sur la table mise à nue, s'alignent des dizaines d'instruments. Il y a quelques petits poignards tranchants, un fouet, un martinet, une longue canne souple, des pinces, des liens, de longues tiges, et des objets à l'usage indubitablement sexuel.

– Aucun homme n'est mort ici. Aucun n'y est resté plus de quelques jours. Le plus long séjour était d'un mois peut-être. Mais si je devais confesser mes pires actions, c'est ici que je les ai perpétrées. La plupart des humains aiment cet endroit. L'amour du Veilleur les touche, ils sont amenés naturellement à la confiance et à la soumission. Mais certains, bien plus rares, se battent sans relâche. Contrairement à toi, ils sont sourds à tout dialogue, toute négociation, ils ne sont que haine et fureur. On ne peut ni les libérer, ni les garder parmi les autres humains. Ils sont alors conduits ici pour être brisés.

Sylath se retourne vers Ilashan et tente de deviner son expression au fond de ses yeux.

– Approche, je ne vais rien te faire, rappelle-t-il. Moi non plus, je ne regrette pas ce que j'ai fait. Cela devait être fait. Ces hommes sont tous morts de vieillesse. Captifs, c'est vrai, mais je ne pense pas que leur vie ait été vraiment malheureuse. Les jours qu'ils ont passés ici ont été durs, en revanche.

Sylath marche jusqu'au centre de la pièce. Le coeur d'Ilashan bat peut-être un peu vite. Mais après l'incident avec les étrangers et le malaise que doit provoquer ces lieux, cela n'a rien de surprenant. Délicatement, il saisit ses deux mains et lui fait lever les bras pour attraper les chaînes.

– Mais ce que j'ai fait restera dans cette pièce. Et aucun des hommes que j'ai brisés n'est encore en vie pour m'accuser. Pour toi ce sera différent. Tu ne viens pas de passer quatre siècles dans une forteresse loin du monde. On te reprochera tes crimes, ceux que tu as commis, et ceux qui seront de pures fables. Aussi déplaisant que ce soit, avant de quitter la forteresse, je voudrais que tu me les racontes. J'ai besoin de savoir quelles armes tes ennemis auront contre toi.

Sylath relâche les poignets du mercenaire après les avoir caressés de ses pouces.

– Ne te presse pas, tu as jusqu'au printemps. Et garde à l'esprit que je n'ai pas le pouvoir de te juger.

Le vampire se penche près de l'oreille d'Ilashan. Le chant de son pouls est tentateur. Il ferme les yeux et inspire profondément.

– Je ne voudrais pas que tu sois différent.

L'Astre et le Veilleur : Tome 2 : Des flammes dans la nuitWhere stories live. Discover now