Le Garçon

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Il y avait là-bas un tableau qui n'attirait que les amateurs d'arts occultes. La peinture démontrait tout le talent de l'artiste, ce malgré son sujet, qui, disait-on, manquait d'ambition. Les visiteurs ordinaires ne lui adressait jamais un regard, comme si l'œuvre était drapé d'un voile invisible, d'une aura étrange qui en détournait leurs visions. Elle trouvait sa valeur aux yeux de ces quelques charlatans en mal de frissons. La toile, entouré de mystères, était sujette aux théories les plus folles. La plus commune, peu imaginative, contait ceci : le modèle de ce portait était en fait le fils du peintre, décédé très jeune par la faute d'une quelconque maladie (qui changeait, d'ailleurs, au fil des récits). Ce père bouleversé aurait alors mélangé le sang de son enfant à ce qui est en réalité un dyptique, l'autre volet resterait introuvable depuis sa conception mais l'histoire n'apporte pas plus de détails quant aux raisons de sa disparition. Nous venons au point le plus intéressant de ces affabulations - le tableau serait animé grâce au sang du disparu. Il n'afficherait cet air triste et apeuré que depuis la seconde moitié du XXème siècle. Plus fou encore, il serait doué de quelques talents de prédicateurs qu'il partagerait volontier avec quiconque conviendrait de converser avec lui.

Pour être honnête, je n'ai jamais crû à cette légende. Il m'est d'avis que l'insignifiance de ce tableau en est à l'origine. C'est une belle œuvre oui, mais personne ne vient au musée pour observer le visage d'un jeune garçon. Je veux dire qu'entouré de toiles d'aussi bonnes factures, dépeignant batailles et divinités, il n'attire pas l'attention du grand public. C'est tout. Seul les mythes lui confèrent un intérêt, le peintre en est sûrement l'auteur ! Frustré par le peu de spectateur que sa toile attirait, il a colporté lui même ces rumeurs absurdes.

Idioties ! Certes. Mais le garçon pleure maintenant, il est inconsolable. Quelqu'un a peut-être changer la toile, le musée n'en a informer que les initiés. Toute la publicité du monde pour le prix d'une toile bon marché.

Tout de même, je ne risquais rien à m'y essayer.
Je me suis donc rendu au musée, en ai parcouru toutes les salles, jusqu'à finalement trouver l'objet de ma visite, qui m'attendait, seul, à bonne distance de toutes les autres œuvres, et, moi-même seul, j'ai murmuré au petit garçon : "Pour qui sont ces pleurs ?". Gagné de frissons j'ai attendu, et il m'a répondu, d'une voix forte et assuré mais emprunte de mélancolie, me fixant de ses deux yeux noires : "Ces pleurs sont pour vous qui me contemplez. Vous, qui vous trouvez du mauvais côté du cadre".

Rêves Californiens (poèmes/histoires courtes) Where stories live. Discover now