XVI- Morosité

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Parc de Sedan, vendredi 2 août 1940, 16h00.

Le regard d'Hannah est mélangé de curiosité, d'inquiétude, et même de déception. Son regard m'indique qu'elle sait des choses. Elle me regarde mais ne parle pas, comme si sa voix s'était éteinte.

Ses yeux quittent les miens pour se reposer sur le lac, sur lequel le soleil tape.

- Tu es enceinte ? Me demande-t-elle.

Je le savais. J'ignore comment, mais elle le sais. Honteuse je réponds.

- Oui. Comment tu le sais ?

- Et Isaac est-il au courant ?

Je réfléchis un instant et réponds, le cœur en morceau.

- Non.

- Mais pourquoi tu ne lui a pas annoncé la nouvelle ? Et vous devez vous marier en urgence sinon...

- Non ! Je suis bien trop jeune pour le mariage. Dis-je presque en hurlant. Et puis.. Isaac n'est pas le père.

- Quoi ? Dit-elle surprise d'entendre cela.

- Hannah, j'ai été... Mes yeux se remplissent de larmes. Je soupire un bon coup et je reprend ma phrase. Un colonel de la Gestapo est intéressé par moi. Il sait que je suis juive. Cela fait si longtemps que je suis rouée de coups, insultée, et... violée. Chaque soirs il vient chez moi pour se faire plaisir. Il me fait chanter Hannah. Si je ne lui obéis pas, il ferait du mal à ma famille et à Isaac, il les tueraient même. Oui je sais, je suis qu'une sale ordure, une traîtresse, mais je le fais pour eux... Elle ouvre sa bouche et se mord les lèvres. J'en ai marre d'endurer tout cela, de pleurer chaque soir, de prier Hachem pour que tout s'arrête... Mais tu sais le pire c'est que je porte son enfant et je n'arrive même plus à le haïr. Tu t'en rends comptes Hannah ? Je n'arrive pas à détester la personne qui a détruit ma vie.

Elle me prend dans ses bras et caresse mes cheveux comme le faisait autrefois ma mère.

- Je suis désolée... Pardonne-moi de ne pas t'avoir aidé... Pardonne-moi... Dit-elle en se retenant de pleurer.

Je ressens des douleurs dans le ventre, qui me font gémir.

- Rentrons Hannah, je suis fatiguée. Dis-je en essuyant mes larmes.

- Rebecca... Je vais t'aider, fais-moi confiance, tu n'aurai plus à subir tout ça. Dit-elle en me regardant droit dans les yeux.

Je suis tellement épuisée pour la contredire, pour lui dire que tout cela ne servirait à rien, que cela n'effacerait pas ma grossesse. Car ce qui est fait est fait. Je ne peux plus revenir en arrière. Je suis enceinte. Je porte une vie en moi.




Sedan, lundi 5 août 1940, 03h50.

Je me réveille en sursaut suite à un cauchemar terrible. Ma chemise de nuit me colle à la peau, trempée de sueur.


J'étais dans une immense forêt, il faisait sombre, seulement le clair de lune. J'entendais des cris, des cris d'homme. Plus j'avançais, plus les cris s'intensifiaient. Je me mis alors à accélérer, mais mes jambes tremblèrent, m'empêchèrent de marcher correctement. J'entendis au loin des aboiements de chiens. Je m'approchais davantage. Les hurlements augmentèrent de volume. J'aperçus Isaac à genou, les yeux bandés, le visage en sang, et ses mains étaient attachées derrière son dos. Je voulus courir vers lui mais je tombai à terre, à quelques mètres de lui. J'essayai de m'avancer vers lui. Mais je n'y arrivais pas. Je voulus crier, le rassurer, mais aucun son ne sortît de ma bouche. Je n'arrivais pas à parler, comme si j'étais subitement devenue muette. Je vis une ombre s'approcher vers lui. Je vis des bottes boueuses dans la lumière obscure, puis un long manteau noir en cuir. Je reconnus Oliver. Il tenait dans sa main droite un revolver. Isaac hurla encore plus en entendant des pas s'approcher de lui. Il se plaça derrière Isaac et pointa l'arme sur sa nuque. Oliver me sourit d'un air maléfique et appuya sur la détente sans même avoir cligné des yeux. Isaac s'écroula devant moi, se vidant de son sang.

C'était juste un cauchemar.

Je descends dans la cuisine tremblante pour prendre un verre d'eau, puis je sors dans le jardin.

Je m'assoie sur les marches des escaliers devant la porte.

La guerre change tellement les personnes. Elle nous donne la maturité, et nous vole notre joie de vivre. La guerre est remplie de surprises. Des surprises auxquelles nous ne attendions pas, avant son arrivée. La guerre ne m'a pas seulement volé ma joie de vivre. Elle m'a aussi volé mon amour, ma liberté, mon âme. Elle m'a volé ma vie. Cette vie que je ne reconnais plus, qui me semble étrangère. Enfin, si on pourra appeler cela une vie. Si cela est une vie, qu'est-ce l'enfer ? Je le vis déjà sur terre.
J'ai l'impression que personne comprend ma peine, ma vraie peine. Cette peine qui ne me lâche pas, me suis sans cesse. Jusqu'à où va-t-elle me suivre ? Jusqu'à ma mort ? Plus j'y pense, plus elle grandit en moi. Je la nourrie avec mes souffrances. Ces souffrances que je n'arrive plus à supporter. Je n'arrive plus à être heureuse, et je ne le saurai plus. J'arrive seulement à pleurer. Mon corps est présent mais mon âme m'a quitté depuis longtemps. Elle s'est enfuie, me laissant avec mes douleurs. Est-ce qu'un jour je pourrai vivre comme avant ? Est-ce qu'un jour je pourrai sourire sincèrement ? Sans me soucier de rien. Sans avoir peur d'être frappée, violée. Mais ce ne sont pas les coups et les viols qui me font le plus souffrir. Ce qui me fait souffrir en réalité, c'est à avoir mentir, dire que je vais bien alors qu'en réalité, je prie pour quitter ce monde le plus rapidement possible. De jouer un personnage comme si, je ne suis plus moi-même mais une autre personne. Une personne que je ne connais pas, que je découvre lentement. Et pourquoi je n'arrive pas à haïr l'homme qui est à l'origine de tout cela ?

Pourquoi ?




Bonsoir, je m'excuse pour ce chapitre qui est court et pour les fautes d'orthographes que je n'ai pas eu le temps de corriger. Je dois avancer dans mes chapitres mais je n'ai plus le temps d'écrire, je passe mes journées à l'hôpital. Cependant, je ferai mon maximum pour écrire des chapitres plus longs le plus rapidement possible.
Sila ❤️

Condamnée à Aimer Where stories live. Discover now