Chapitre 3 - La claveciniste secrète

63 18 9
                                    

En revenant de l'escapade de ses lamentations, Obax eut une envie irrépressible de jouer comme tous les jours, mais cette fois-ci son besoin se fit plus pressent, désespéré.

Elle passa entre deux champs : celui de coton et l'autre de café où sa mère et sa grand-mère travaillaient avec acharnement. La hutte de sa famille se défit de l'horizon foisonnant. Elle devait y entrer pour pénétrer dans son petit havre de paix.

Au fond de la maison, sous un vieux panier en osier dégarni, se trouvait un trou béant. C'était leur secret, à Obax et se famille. Il avait toujours été là, c'était son arrière grand-père qui l'avait érigé. Comment ? C'était un ancien sage qui communiquait avec les esprits. Par les cultures animistes et l'ordre cosmique, ce vieux vaudou avait réussi à charmer une famille d'arabes. De ce temps, fort lointain, l'Afrique n'était pas encore contrôlée par les blancs. Les noirs ne marchandaient qu'avec les pays orientaux du Nord, tout prospérait plus ou moins.

Où menait-il ? Après l'envahissement du continent, les Arabes s'étaient retirés petit à petit mais avant de s'éloigner pour toujours, ils avaient passé l'amour du vaudouisme à une autre famille, désirant connaître les secrets les plus enfouis de ces terres qu'elle ne connaissait pas encore.

La galerie enfouie était faite de terre et de pierre. Il faisait un noir absolu à l'intérieur, mais la jeune femme n'avait pas besoin de voir pour connaître le chemin qu'elle avait parcourut tant de fois. Ses mains glissaient sur un des pans de mur, la guidant. Pendant une vingtaine de minutes Obax resta entièrement aveugle. Puis, elle toucha une porte. Elle toqua doucement. Une voix l'invita à se faufiler à l'intérieur.

-  Bonjour, Maître De La Mirage.

Un homme d'une quarantaine d'années se retourna sur sa chaise. Son couvre-chef était un béret rond et plat en feutre de couleur noir. La plume qui ornait le tout était d'un blanc éclatant. Son collet cachait son port de tête fier et élancé, le pourpoint appliqué à son buste était fait d'un tissu sombre et tracé d'or. Les manches étaient bouffantes et tombaient sur des doigts fins et habillés de bagues serties d'or, de rubis et de saphirs. Une barbe blonde courte berçait son fin sourire.

-  Voyons, Obax, ne m'appelle pas ainsi. Je ne suis pas ton maître. Tu es venue pour jouer du piano ?

-  Oui, si cela vous convient.

-  Tout à fait, j'ai toujours aimé t'entendre jouer. Je t'en prie, installe-toi. Quant à moi je vais finir la lettre que j'écrivais.

Eudes De La Mirage se rassit, une autre plume tachetée d'encre noire à la main. Obax alla se placer devant un clavecin en chêne massif. La queue de l'instrument ou table d'harmonie, recouvrait presque en totalité les cordes serrés, sur sa surface était peinte une rosace de fleurs roses et dorées. Elle souleva le couvercle rabattu et le maintint grâce à une béquille. Le clavier se dévoila alors à sa vue. L'instrument entier était couvert de nombreuses dorures épaisses.. Cela avait été le plus beau cadeau que son protecteur lui avait fait. Petite, Obax jouait sur allemand, mais les flamands avaient inventé le clavecin et son épinette, mécanisme qui manquait alors au précédent. Le son y était plus harmonieux et Eudes De La Mirage ne pouvait laisser sa petite protégée talentueuse sans raffinement.

Qu'allait-elle jouer ?

Obax, encore furieuse, voulut faire tonner ses notes. Ses longs doigts s'attaquèrent aux touches, les cordes en bronze se tendirent sur le jeu de luth.. Elle avait choisi de jouer de la façon de Johann Crüger, grand compositeur, musicologue et théoricien de la musique. Il jouait principalement de l'orgue, mais ses notes reflétaient l'essence même de la passion et c'est ce que recherchait Obax tout de suite.

OBAXWhere stories live. Discover now