Chapitre 2 (6) : Arguere scriptor

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Je suis assise par terre, dos au mur, hors du réfectoire. Personne ne dit rien, et du reste, personne n'a rien à dire. Même Ambre a fini par lâcher son mystérieux air agacé pour se contenter de s'assoir. Finalement, Monokuma sort de la pièce, portant un gros sac sur son dos. Le bout traîne par terre, mais je préfère ne pas imaginer ce qu'il y a dedans. Cela est évident bien sûr, surtout lorsque Monokuma lance joyeusement :

- Le timer est en route ! Vous avez vingt-quatre heures pour mener l'enquête, mes poussins ! Enfin, si vous le sentez ainsi, parce qu'on a quand même eu droit à un aveu de meurtre !

Silence. Puis Ambre croise les bras, et lance timidement à un Monokuma plus exultant que jamais :

- Comment s'est passée cette...Arrestation ? Vous pouvez bien nous le dire, non ?

- Upupupu...C'esty mort ! Vous demanderez à Sukina ou Eugène, moi je m'occupe de l'autopsie ! Je me demande à quoi son corps ressemble tiens !

Et il s'éloigne en sautillant joyeusement, traînant le sac avec lui. Je n'ose même pas poser une question ou le suivre. Je reste prostrée là alors qu'Ambre vient s'asseoir à côté de moi, et me jette un regard triste.

Encore un mort. Un mort que j'aurai pu éviter. IL était là, sous mes yeux, la nuit dernière. Ce n'est pas comme Yuzuha, non. Je ne la connaissais pas, je ne l'appréciais pas, et pourtant sa mort m'avait affreusement affectée. Mais j'avais su trouver le courage de passer outre.

Pas cette fois.

J'aurai pu empêcher ce meurtre en poursuivant Sukina. Ou en restant avec Fusae. Peut-être même est-ce un suicide ? Cette certitude me pèse. J'aurai pu empêcher cela. Mais je suis faible. je n'ai pas pris l'avertissement de Sukina assez au sérieux, pas assez agi...Et je ne suis plus capable de passer outre. De dépasser mon désespoir. J'ai trop forcé...pour la première enquête. Je ne veux pas m'occuper de la suivante. Que Veikko ou Raraka ou quiconque le veuille le fasse...je ne peux plus. 

Un long silence plane dans le couloir. Finalement, je parviens à délivrer les mots qui me titillent les lèvres depuis plusieurs minutes :

- Qui...Qui va s'occuper de l'enquête ?

Ils me jettent un regard surpris. Tous semblent étonnés que je ne me propose. Parce qu'ils  croyaient que c'était facile ? Facile de regarder le corps, facile de chercher dans les affaires d'une morte, facile de déclarer la sentence pour le coupable, facile de voir les conséquences de mes actes ?

Nous allons tous mourir...de toute manière. A quoi bon ? A quoi cela peut-il bien servir de faire des efforts, puisque tous ceux que j'aime vont mourir ?

- Je pense que tu devrais être celle en charge, lance Sour avec une voix calme.

- Je..je ne peux pas...C'est trop, Sour. C'est trop pour moi.

L'œnologue me lance un regard attristé. Elle comprends, je pense. J'ignore pourquoi et comment, mais elle semble réellement comprendre.

- M..mais...Je peux pas peindre...pour quelqu'un d'autre..? intervient Hikage en tremblant, le visage pâle.

- Comment ça ? lance un Senri visiblement étonné.

- Je...je me sens à l'aise...Qu'avec Wen Xiang...

Je baisse les yeux. Elle me l'avait déjà confié, plus tôt. Collaborer avec quelqu'un, pour un artiste, est infiniment complexe. Surtout quand l'artiste en question est aussi timide qu'Hikage. Elle n'arrive à peindre que sur mon ordre. Je..ne sais pas vraiment pourquoi moi précisément mais...c'est comme ça.

J'entends quelqu'un marcher vers moi, puis me tendre la main. En relevant les yeux, je constate qu'il s'agit de Cheng Hui. Tremblante, j'attrape sa main, et me relève sous son impulsion. l'Historien Ultime se tourne ensuite vers les autres, et lance d'une voix forte :

- Et si nous enquêtions tous ? En même temps ? Qu'est-ce qui nous en empêche, en réalité ?

Anthony se met à secouer la tête. Jamais je ne l'ai vu tirer une telle tête, dénuée de colère, de violence ou de peur. Il semble juste...Apathique.

- Une idée simple, monsieur le communiste. Ta vision idéaliste d'un monde où tout le monde est gentil est fausse. Qu'est-ce qui te dit que le coupable n'est pas parmi nous, plutôt que l'ornithologue ou le Chevalier ? On ne peut pas enquêter en groupe parce qu'il nous faut quelqu'un dont on puisse être absolument sûr qu'il est fiable et n'essayera pas de détruire des preuves.

Cheng Hui reste bouchée bée. Pour une fois que leur éternel débat est pertinent, après tout...C'est assez rare pour être souligné.

- Peut-on remettre les considérations philosophiques à plus tard ? lance Ambre, agacée par le débat. Pour le moment...

- Pour le moment, j'pense qu'on devrait laisser l'enquête à Wen Xiang. Parce que c'est de loin la plus qualifiée de nous, l'interrompt Kagari avec un large sourire à mon attention.

Je reste bouche bée. P...pourquoi Kagari m'offre-t-il ainsi son soutien ? Que cherche-t-il ? Oh et puis non. Je ne serai pas son pion. Je refuse de faire cette enquête. je ne peux pas. Je ne veux pas. C'est égoïste, je le sais, mais je refuse.

- Je..je suis d'accord avec Kagari ! lance Kezelyu.  Wen Xiang elle a trouvé le coupable la première fois. Et elle a su le mener à la justice.....peu importe qui c'était...

- J'approuve, enchaîne aussitôt Raraka, à ma grande surprise. Wen Xiang, tu es forte. Très forte. Tu as prouvé que tu étais capable de démêler le vrai du faux, et tu m'as innocentée. J'aimerai...j'aimerai qu'on continue à percer ces mystères ensemble. Si tu veux bien.

Je sens mon estomac s'agiter. C'est...C'est déloyal, et elle le sait. J'ai du mal à résister à ce regard qu'elle me lance. Elle a raison quelque part. Je suis la seule avec laquelle Hikage peut travailler, et donc la seule qui peut concrètement démêler le vrai du faux. Je n'ai juste...plus aucun espoir.

Aucun espoir de sortir d'ici en vie.

Aucun espoir que mes nouveaux amis s'en sortent non plus.

Aucun espoir de rien. Seulement le vide à l'idée que je vais bientôt mourir.

Et puis je vois Veikko s'approcher de moi à son tour. Cheng Hui s'écarte sur son passage, le laissant passer. Il se rapproche. J'écarquille les yeux alors qu'il vient enrouler ses bras autour de moi pour me serrer contre lui. Je.

Je.

Je.

Je.

- S'il te plaît Wen Xiang. On a tous besoin de toi...

Pas ce ton suppliant. Je. Je. Je. Je n'arrive plus à rassembler mes pensées. Et pour ne rien arranger, je sens Raraka venir m'enlacer dans mon dos. Je...

Je sens mon cœur battre. Fort. Ne..ne me faites pas des câlins comme ça en public ! Je veux dire, pas du tout ! Enfin si..enfin..enfin...je...

- D'accord...je vais le faire.

Ils me lâchent. Je croise le regard espiègle de Veikko et celui, toujours calme, de Raraka. Ils ont raison. Ils ont besoin de moi. Ils ont tous besoin de moi. Et j'ai failli les laisser tomber. Allez Wen Xiang, il semblerait que tu te sois portée volontaire pour sauver tout ce petit monde....Alors ne les laisse pas tomber.

Je promène mes yeux sur ceux qui m'entourent. Un sourire attendri éclaire le visage de Sour et Senri, me donnant envie de rougir et de me rouler en boule au sol. Ambre sourit aussi, un peu moins aigre. Hikage semble angoissée, ce qui est logique en voyant la tâche qui nous attend. Cheng Hui semble un peu plus inquiet, et Anthony ne pipe pas mot. Enfin, Kagari me fixe du haut de sa petite taille, arborant un immense sourire satisfait qui...ne me fait plus peur.  A côté de lui; Kezelyu lui tient la main, l'air surexcitée.

Une fine petite équipe, si on ajoute Sukina toujours attachée dans le réfectoire, et Eugène probablement en train de pleurer.

L'un d'eux est coupable.

Et je vais le trouver.

Pour que tous puissent vivre un jour de plus.

Il reste vingt trois heures et quarante trois minutes.

Danganronpa : L'Enfer AquatiqueWhere stories live. Discover now